Rendons à César ce qui appartient à César… ou plutôt à Eugène ce qui revient à Eugène ! L’ingénieur français Eugène Freyssinet révolutionne la construction du XXe siècle par l’invention de la précontrainte, qu’il met en application à Paris dans la fameuse Halle Freyssinet (1929).
Trois immenses nefs de béton extrêmement élancées, dont les voûtes s’affinent jusqu’à 5 cm, réhabilitées pour accueillir aujourd’hui un campus de start-up !
Durant la Seconde Guerre mondiale, Freyssinet conçoit également le pont de Luzancy sur la Marne, premier pont en béton précontraint en France qui donnera lieu à d’autres ouvrages similaires. L’ingénieur fait aussi partie des architectes de la basilique souterraine Saint-Pie X de Lourdes, une spectaculaire ellipse de 201 mètres, supportée par 29 portiques en béton précontraint.
Des bâtiments aux ouvrages d’art
En matière d’habitat, la précontrainte a été expérimentée pour reconstruire la France des années 1950.
Le Corbusier l’utilise pour l’Unité d’Habitation de Rezé, près de Nantes, qui superpose 294 appartements selon un principe de modules.
Dans ce village vertical, on ne trouve aucune ossature à proprement parler : chaque appartement est une boîte en béton précontraint reposant sur/adossée à ses voisines. Séparées de quelques centimètres, elles sont indépendantes les unes des autres.
Toutefois, la précontrainte s’illustre plus souvent dans la réalisation des ouvrages d’art. Le fameux Pont de l’île de Ré, inauguré en 1988 et deuxième plus long de France, s’élève sur près de 3 kilomètres. Ses 796 voussoirs en béton précontraint contiennent aussi tous les réseaux qui alimentent l’île !
À la même époque, l’architecture tertiaire connaît un renouveau à Paris, illustré par la Grande Arche de La Défense. Pour supporter ses 300 000 tonnes, les piliers de béton précontraint mêlé à de la silice s’enfoncent à plus de 30 mètres.
Presque quarante après, Jean Nouvel signe à la Défense la Tour Hekla, culminant à plus de 200 mètres ! Les 46 niveaux de cette tour sont constitués de planchers précontraints par post-tension. Une solution indispensable pour s’adapter à la forme unique et complexe de la tour – tous les planchers disposent d’une géométrie unique –, tout en diminuant l’empreinte carbone de l’ouvrage de 30 % par la réduction des quantités de béton et d’armatures d’acier.
Et des musées aux opéras
Le béton précontraint permet donc de repousser les limites et de générer des formes audacieuses.
Pour le Mucem de Marseille, Rudy Ricciotti a recours au BFUP et à la précontrainte pour donner à son bâtiment une esthétique minérale. Outre sa célèbre résille, le musée compte 308 poteaux arborescents dépassant parfois 8 mètres de hauteur.
En BFUP, ces éléments sont assemblés avec le radier et les poutres de rives des planchers grâce une précontrainte par post-tension, qui accroît aussi la résistance en traction du BFUP. Quant à la passerelle reliant le Mucem au Fort Saint-Jean, elle est composée de 25 voussoirs assemblés en post-tension.
Résultat : un ouvrage monolithique de 115 mètres de long, sans arcs ni haubans.
Au Brésil, l’entreprise Freyssinet réalise 36 tours d’éoliennes de 119 mètres, chacune pourvue de câbles en précontrainte extérieure pour résister aux vents puissants.
Autre exemple, les poutres croisées du château d’eau de Ghlin, en Belgique, combinent précontrainte et post-contrainte, donnant l’impression que son réservoir est suspendu à 40 mètres de haut !
Parmi les ouvrages de renommée internationale, on peut citer deux exemples construits au milieu des années 1970, dans une période de croissance inédite.
Constituée d’un mât en béton précontraint, la tour CN de Toronto a longtemps été la plus haute structure autoportante dans le monde.
Quant au Stade olympique de Montréal, il est pourvu de la plus haute tour inclinée (à 45 degrés !), réhabilitée pour accueillir les bureaux d’une grande firme.
Bouquet final de ce panorama, l’Opéra de Sydney fait partie des 7 merveilles de l’architecture moderne (comme la tour CN de Toronto).
Imaginé par le danois Jørn Utzon, il a fallu 14 ans pour le construire et beaucoup de dessins pour parvenir à cet incroyable entrelacement de coquilles composées de tuiles en béton précontraint, elles-mêmes recouvertes de céramique blanche. Ses toitures dominent la baie de Sydney, tel un navire onirique dédié à la magie du spectacle !