Niché dans un creux entre le massif forestier et la plaine infinie du vignoble, le village de Verzenay est dominé d’un côté par le mont Bœuf et de l’autre par le mont Rizan.
En 1908, Joseph Goulet, prospère négociant en vins de Champagne et petit-fils de la maison Goulet-Turpin, décide d’ériger un phare sur le mont Rizan pour promouvoir sa marque de champagne. Quoi de plus normal, au milieu de cette “mer de vignes” ?
Système Hennebique et publicité américaine
Le monument sera en béton armé et “dans le genre de la publicité américaine”. Sur son fût, Joseph Goulet fera inscrire ses nom et prénom en grosses lettres capitales. Pour mener à bien ce projet, il fait appel à l’architecte rémois Pierre Bouchette, qui s’illustrera après la guerre comme le principal intervenant dans la reconstruction de Reims.
Les entrepreneurs sont les frères Nouailhat, qui obtiennent, en 1909 à l’Exposition d’Épernay, un diplôme d’honneur pour leur parfaite application du procédé Hennebique.
Le phare de Verzenay a la forme d’une pyramide tronquée à base octogonale. Ses soubassements sont en meulière, sur une ligne de fondations en béton. Une seconde ligne ininterrompue de linteaux en béton armé assure un chaînage parfait. L’édifice est terminé par une logette, ou campanile, qui s’élève à 22 mètres de hauteur et à laquelle mène un escalier intérieur en porte-à-faux, accroché aux parois et faisant corps avec elles.
Intégralement construit en béton armé selon le système Hennebique, le bâtiment offre une résistance tenant compte des vents les plus violents. Les constructeurs sont d’ailleurs fiers d’affirmer dans la presse de l’époque que, « sous la pluie et l’ouragan de décembre 1908, le phare n’a manifesté aucune fatigue ».
Des fastes de la Belle Époque à l’oubli
À côté du phare, Joseph Goulet fait construire un théâtre de plein air, un restaurant et une guinguette… un véritable lieu de fête ! Le train de la compagnie des chemins de fer qui traverse l’ensemble des villages de la montagne de Reims, initialement conçu pour transporter les fûts de vin, transporte les Rémois et les Sparnaciens qui viennent se restaurer, faire la fête et déguster le vin de Champagne “Joseph Goulet”.
Directrice du phare et du musée de la Vigne, Frédérique Pinchon précise que « le public n’était pas forcément très populaire. On le voit sur les photographies, c’est la bourgeoisie qui venait ici. Le phare était éclairé la nuit, et les gens pouvaient y monter. »
Hélas, ces plaisirs ne dureront pas. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, le front est dans la plaine toute proche. Le phare, qui sert d’observatoire, est très vite repéré par les Allemands. En partie bombardé, il reste debout… mais tombe dans l’oubli. Entouré de végétation, il s’endort pendant de très nombreuses années. Seuls les jeunes du village et les amoureux y viennent à leurs risques et périls, car l’escalier pour accéder à la plateforme du haut est en partie détruit.
Un temps racheté par une grande maison de champagne, le phare est menacé de destruction lorsque la commune de Verzenay, attachée à cet édifice emblématique, propose de le racheter.
Renouveau et musée de la Vigne
« Dans les années 1990, la communauté de communes de la montagne de Reims, qui a cette époque englobait dix villages dont Verzenay, et le parc naturel régional de la montagne de Reims ont pris en charge un projet touristique et fédérateur pour faire revivre le phare, explique Frédérique Pinchon. En octobre 1999, ce dernier a rouvert ses portes… après quatre-vingt-dix ans de sommeil. »
Restauré, le phare abrite le musée de la vigne à ses pieds : une ellipse en bois est construite à cet effet, semi-enterrée pour que son volume ne soit pas écrasant.
« Nous accueillons aujourd’hui des visiteurs du monde entier, curieux à la fois du musée et du phare, poursuit-elle. C’est le musée, non pas du vin mais de la vigne. Le phare rend hommage au métier de vigneron et aux maisons de champagne. Nous présentons la zone d’appellation, les travaux qu’on effectuait autrefois et les pratiques contemporaines, l’histoire de la Champagne… c’est assez complet ! Nous avons la chance d’avoir des vignerons partenaires et une carte de vins de Champagne très importante avec plus de 60 cuvées à la dégustation. Nous sommes un relais. »
Sans compter que les lieux ont retrouvé l’esprit guinguette d’autrefois : « Nous organisons depuis trois ans des concerts pique-nique tous les dimanches et jours fériés, de 12h30 à 14 heures, pendant la saison estivale. C’est-à-dire de juin à mi-septembre. Les visiteurs s’installent dans le jardin panoramique, avec une vue extraordinaire sur le vignoble, et profitent de la musique. Ces moments sont gratuits et mettent une ambiance incroyable. On affiche complet tous les dimanches.»
Depuis le haut du phare, la vue sur le vignoble de Verzenay et la plaine de Champagne constitue le point de départ idéal pour une découverte pédagogique, historique et gourmande de la Champagne et de son vin. Un circuit de randonnée permet justement de s’y immerger.