À la toute fin du XIXe siècle, Giovanni Agnelli, issu d’une famille de propriétaires terriens piémontais, se passionne pour les progrès techniques, la mécanique et les premières courses automobiles. En 1899, il fonde à Turin la Fabbrica Italiana Automobili Torino : la Fiat. Huit exemplaires de sa Fiat 3½ HP, une petite automobile 2-3 places, seront produits cette année-là, mais Giovanni Agnelli veut aller plus loin. Il n’hésite pas à traverser l’Atlantique en 1906 et en 1912 pour rencontrer Henry Ford et visiter son usine de Highland Park, près de Détroit. Les industriels du monde entiers sont fascinés par les règles du taylorisme qu’il y applique. Dans cette usine moderne, l’iconique Ford T est fabriquée à la chaîne en seulement 93 minutes, et une voiture sort de l’usine toutes les trois minutes !
En Europe, le Français André Citroën est l’un des premiers à introduire ces principes de construction en série pour sa Type A dans son usine du quai de Javel, à Paris. Giovanni Agnelli compte bien en faire autant en Italie.
Le Lingotto, la modernité d’un anneau en béton armé
Pour accueillir sa nouvelle chaîne de production, il faut une nouvelle usine et Giovanni Agnelli voit les choses en grand. Il confie les plans à l’ingénieur Giacomo Mattè Trucco et le chantier débute en 1916. Le monument – manifeste de l’architecture industrielle – sera construit en béton armé par l’entreprise Porcheddu, concessionnaire du brevet Hennebique pour l’Italie du Nord.
Le Lingotto est composé de deux longs bâtiments parallèles de cinq étages, reliés aux extrémités par des rampes hélicoïdales. Les proportions sont gigantesques : plus de 500 mètres de longueur et une superficie de 150 000 m2. Cinq traversées relient chaque étage, la structure est composée de modules de béton préfabriqués, avec une maille de colonnes tous les six mètres, et la façade est percée de larges fenêtres. À l’époque, c’est la plus grande usine automobile du monde.
Emblème de l’âge d’or de l’industrie automobile
En 1923, l’inauguration se fait en présence du roi Victor Emmanuel III. Dès son ouverture, le Lingotto devient un temple de l’automobile où Agnelli révolutionne la chaîne de montage : la fabrication se fait de bas en haut. Les matières premières entrent par le bas et les voitures finies ressortent par le haut. Elles sont testées sur un incroyable toit-terrasse adapté en circuit automobile. La piste en béton de 1,5 km, aux virages relevés, permet des pointes à 90 km/h !
Immédiatement, le Lingotto devient l’un des hauts lieux de Turin, dont Le Corbusier fait l’éloge dans son livre Vers une architecture : « C’est certainement l’un des spectacles les plus impressionnants que l’industrie ait jamais offert. » En 1924, les guides de Turin citent l’usine comme une curiosité de la ville. Des millions d’automobiles seront assemblées au Lingotto avant que les chaînes de montage ne soient déplacées vers d’autres sites de production, en 1982.
Une reconversion signée Renzo Piano
Dès son départ, Fiat souhaite donner une nouvelle vie au site du Lingotto. En 1985, Renzo Piano, co-créateur du centre Pompidou, remporte un concours d’architecture international. Avec l’accord du ministère des Biens culturels, le site est complètement remanié. Un auditorium de 2000 places voit le jour en creusant le sous-sol à 14 mètres de profondeur. Dans les volumes repensés, sont installés des cinémas, des dizaines de commerces et un jardin tropical : le Lingotto devient l’un des plus grands centres de congrès multifonctionnels d’Europe. Sur le toit-terrasse, Renzo Piano imagine la Bolla, une salle de réunion dans une bulle d’acier, un héliport et la Pinacoteca Agnelli qui expose les collections d’art et la mémoire Fiat. L’architecte se souvient : « L’extérieur du bâtiment est resté en grande partie inchangé, mais son intérieur a été complètement modifié pour accueillir un centre d’exposition, un centre de conférences et un auditorium, deux hôtels, des bureaux et des locaux commerciaux.»
Dernière évolution, en 2021, lorsqu’est créée La Pista 500, un immense jardin de toit : à 28 mètres de hauteur, sur 7 000 m2, sont plantées tout autour de la piste 40 000 plantes et 300 espèces. Dans cette oasis, les visiteurs se promènent, avec une vue panoramique sur les Alpes piémontaises et la ville de Turin. Le site idéal pour méditer sur le passé industriel du XXe siècle et les enjeux du XXIe.