La Mutualité Française vous a confié la rénovation de son siège historique, que vous avez livré en juin 2024 dans le XVe arrondissement de Paris. Quels étaient les enjeux du maître d’ouvrage sur ce bâtiment centenaire ? Qu’est-ce que vous a inspiré ce lieu ?
Rudy Ricciotti : Il s’agissait d’une commande classique de bureaux fonctionnels, laissant l’architecte prendre ses responsabilités. Finalement une maîtrise d’ouvrage très respectueuse de tous… et à l’écoute ; exemplaire ! Ma priorité a été de redonner dignité à un patrimoine dévalorisé par une rénovation « scandaleuse » dans les années 1980. J’ai été inspiré par la valeur travail, qui est fondatrice de la culture mutualiste.
Le bâtiment a fait l’objet d’une restructuration lourde. Avec quels défis ?
Rudy Ricciotti : Il n’y avait pas de défi, mais la volonté de requalifier l’image fonctionnelle et architecturale des mutualités. Les bureaux étaient « invivables ».
Romain Ricciotti : Nous ne nous sommes pas lancés de défis inutiles. Nous nous sommes plutôt attachés à concevoir un ouvrage exemplaire pour notre époque : des savoir-faire locaux, très peu de matière consommée, un haut niveau scientifique et technique pour in fine un très bel ouvrage et une durabilité exemplaire.
Vous avez imaginé une belle verrière, aux formes complexes ?
Rudy Ricciotti : Elle réécrit un peu le logo « alvéoles d’abeilles » des mutualités, mais en trois dimensions et physiquement fonctionnelles. Je suis parti de la stéréotomie de l’aile de libellule. Sa modélisation mathématique a produit ce résultat.
Romain Ricciotti : D’un point de vue constructif, il s’agit d’une structure autoportante de grandes dimensions (9 x 80 m de développé), réalisée en BFUP et formant le support de la verrière. Sa structure est de type alvéolaire, en écho avec le sigle de la Mutualité Française. Mais aussi et surtout en évocation très concrète de cette symbolique bio-inspirée : la résistance et la robustesse des systèmes sont obtenues à la fois par le mutualisme de la géométrie et l’utilisation d’un matériau de pointe de l’industrie française, le BFUP.
Pourquoi avoir choisi le BFUP pour ce projet ? Avec quels points de vigilance ?
Rudy Ricciotti : Cette verrière ne pouvait être réalisée que dans ce matériau. Elle est très audacieuse et demande des savoir-faire multiples aux architectes, aux ingénieurs, comme aux entrepreneurs.
Romain Ricciotti : Les points de vigilance sont nombreux et exigent un très haut niveau d’implication et de savoir-faire chez tous les acteurs : ingénieurs, architectes, modeleurs, préfabricateurs. Jusqu’au travail essentiel des contrôleurs techniques (Socotec) et du CSTB.
L’art de la modélisation est fondamental si on souhaite optimiser les quantités de matière, les masses, les coûts ou encore les émissions de CO2. La verrière a nécessité deux ATEx menées avec le CSTB : une pour le verre et une pour la structure.
Comment s’est déroulée la mise en œuvre sur le chantier ?
Romain Ricciotti : Le principe de la fabrication en atelier, donc en amont et en parallèle du chantier sur site, permet d’imaginer une mise en œuvre sur chantier particulièrement efficace : peu de temps sur site, réduction des nuisances, augmentation de la sécurité pour les Compagnons, optimisation de la qualité des matériaux et de la finition notamment.
Depuis que le bâtiment a été livré, quels sont les retours d’expérience des collaborateurs de la Mutualité Française ?
Rudy Ricciotti : Ils semblent satisfaits. La lumière naturelle est beaucoup plus généreuse qu’avant. La verrière expérimentale est comprise et partagée comme fédérative de la fédération des mutualistes (solidarités et labeurs).
Est-ce que ce projet a ouvert de nouvelles approches dans votre travail, ou renforcé vos convictions sur ce que doit être l’architecture et sur la place du béton ?
Rudy Ricciotti : Mes convictions sont acquises depuis longtemps, mais réaliser ce type d’ouvrage expérimental nous fait tous progresser ensemble et traduit noblement ce que l’ingénierie française sait faire.
Romain Ricciotti : L’expérience est magnifique, autant humaine que scientifique. De nombreux enseignements sont venus des essais matériaux réalisés au cours des études avec des résultats étonnants. L’autre enseignement majeur consiste en la validation méthodologique de la mise en œuvre de cette verrière aussi monumentale, dans l’environnement parisien intramuros, une intervention dans un noyau urbain dense et très contraint. L’intelligence de la conception, mais encore la bonne santé de notre écosystème de bâtisseurs, nous ont permis de réussir ce projet, avec un ouvrage particulièrement beau et, surtout, de très grande durée de vie.