Le réalisateur Nicolas Boulenger
En tant qu’ancien des Ponts, quelle a été votre ambition pour ce documentaire ?
Le projet est né d’une commande de l’École nationale des ponts et chaussées, qui souhaitait transmettre la mémoire de ses grandes figures à ses élèves. L’idée s’est vite transformée : au fil des échanges avec des enseignants, anciens élèves ou chercheurs, une problématique s’est imposée d’elle-même, celle de la transition écologique. On ne pouvait pas faire un simple portrait de bâtisseurs d’hier sans interroger ce que signifie « construire » aujourd’hui. Le film est donc devenu un dialogue entre générations d’ingénieurs, s’appuyant sur des réalisations allant du pont de Brotonne au Grand Paris Express, en passant par le viaduc de Millau ou encore la passerelle Solférino (devenue passerelle Léopold-Sédar-Senghor).
Quels sont les temps forts ?
Chaque intervenant, notamment Michel Virlogeux, Marc Mimram, Jacques Combault, Audrey Zonco ou encore Bernard Vaudeville, présente un ouvrage emblématique. Mais le montage, sans voix off, tisse un dialogue entre leurs visions. Des figures historiques côtoient des ingénieurs plus jeunes, souvent confrontés à des contraintes nouvelles – sociales, environnementales ou esthétiques. À travers les ouvrages, c’est une série de grandes thématiques qui émerge : l’évolution des matériaux, l’IA, la formation, le rôle de l’ingénieur.
Quelle est la place occupée par le béton dans le film ?
Elle est bien sûr centrale, puisque la plupart des grands ouvrages évoqués ont été réalisés en béton – du viaduc de Millau à la Fondation Louis Vuitton. Mais le film interroge aussi l’avenir de ce matériau. Tous s’accordent à dire qu’on ne peut plus construire en « tout-béton » comme dans les années 1970. Ce n’est pas un film qui propose des solutions, mais il montre une prise de conscience très forte chez les ingénieurs : il faut faire autrement, et le béton, utilisé avec discernement, continuera à jouer un rôle essentiel.
Face à la transition écologique, quel regard portent les ingénieurs interrogés ?
Ce qui m’a frappé, c’est leur lucidité et leur humilité. Certains reconnaissent que le carbone n’était tout simplement pas une donnée de leur époque. D’autres disent très clairement : on sait qu’il faut changer, mais on ne sait pas encore comment. Ce n’est pas rien de voir les grandes figures du génie civil admettre la complexité de la situation, sans se réfugier dans des recettes toutes faites. J’ai aussi été touché par la volonté de transmission : tous partagent le même désir d’accompagner les jeunes générations, sans les opposer aux anciennes. Le film montre qu’il faut des ingénieurs formés aux réalités techniques, mais aussi aux enjeux de société. On ne construira pas demain comme hier, mais on aura toujours besoin d’ingénieurs très bien formés, plus que jamais.