Votre formation en quelques mots ?
Nathalie de Parseval : J’ai un premier parcours de chercheuse en biologie avec une dizaine d’années en laboratoire, mais je pratique depuis toujours une activité artistique assez riche, sur des media très variés : peinture, photographie, photogrammes, collages… et même poésie graphique.
J’ai créé ma marque de bijoux en béton, Icy Mouse, il y a cinq ans, dans la continuité de ces activités. Malgré quelques formations très courtes en bijouterie, je me considère comme une autodidacte. Il n’existe pas de formation pour la création de bijoux en béton. Tout était à inventer, et j’ai créé mes propres techniques en expérimentant, grâce à ma formation scientifique. La matière béton, extrêmement riche et polyvalente, me permet d’exprimer ma sensibilité artistique.
Dès le début, vous avez eu envie de travailler le béton ?
N. P. : Il y a eu un cheminement. Je suis « tombée dans le béton » avec les objets décoratifs utilitaires, en commençant à fabriquer des bols, des vide-poche, des cendriers, etc. J’ai tout de suite adoré la manipulation de cette matière, le fait de pouvoir décider de la forme de l’objet en concevant un moule. Une fois durci, j’aimais beaucoup son effet esthétique, très minéral, qu’on peut poncer et qui offre différentes textures. Un jour, je cherchais des bijoux, et tout me semblait trop classique, calibré, rien ne me correspondait. Je me suis dit : « Pourquoi est-ce que je ne me fabriquerais pas des bijoux avec du béton ? » Au départ, c’était uniquement pour moi.
J’ai acheté des petits moules et commencé à essayer de couler différentes sortes de bétons : même le béton de construction, en le filtrant pour enlever les gros cailloux. C’était très brut, mais pas moche… intéressant ! Puis je suis passée à d’autres types de bétons et, surtout, j’ai commencé à faire des associations entre le béton et d’autres éléments, et à créer mes propres moules. J’ai constaté qu’il y avait d’immenses possibilités.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
N. P. : J’ai toujours été attirée par ce qui est un peu disruptif, voire iconoclaste, et le positionnement décalé du béton en bijouterie m’intéressait tout particulièrement. C’était à la croisée de plusieurs choses : une matière esthétique, des possibilités créatives infinies et un positionnement qui me permettait de me démarquer dans l’univers du bijou.
Je suis inspirée par les lignes épurées, très géométriques, par l’art contemporain et par l’architecture brutaliste, qui me fascine. Je partage une communauté d’esprit avec l’école allemande du Bauhaus, pour laquelle il n’y a pas de frontière entre l’art et l’artisanat. C’est une idée très présente dans mon travail, qui est à la fois de l’artisanat d’art – chaque pièce est unique –, mais aussi de l’art puisque ces bijoux sont des mini-œuvres à porter sur soi.
J’aime aussi des peintres comme Pierre Soulages, pour son usage du noir texturé – une partie de mes bijoux est réalisée en béton noir teinté dans la masse. Les nouveaux réalistes comme Yves Klein ou Arman ont été très importants aussi dans mon parcours artistique, mais c’est plus par philosophie, en raison de leur volonté de casser les codes, de désacraliser l’art et de faire du beau avec des objets du quotidien.
J’aime faire contraster le béton avec des éléments inattendus : des coquillages ramassés sur la plage, du sable, du verre cassé ou des morceaux de métal… J’utilise aussi des éléments plus précieux comme la feuille d’or. L’une de mes collections est inspirée de la technique japonaise de réparation des poteries, le Kintsugi : les bijoux en béton naturel ou noir sont parcourus d’un réseau doré ou argenté creusé dans la matière.
Où peut-on voir vos œuvres ?
N. P. : Mon atelier est à Paris, et on peut venir m’y rencontrer. J’expose mes bijoux principalement dans des salons d’artisanat d’art, un peu partout en France, mais depuis peu également en Europe. Récemment j’étais en Allemagne, à Heildelberg, et je pars dans quelques mois à Amsterdam. J’ai présenté mes bijoux au salon Maison & Objet et à la Galerie 3F, rue des Trois-Frères, à Montmartre.
J’attire une clientèle intéressée par l’art contemporain, l’artisanat, par le « fait main » et les bijoux qui sortent de l’ordinaire. Ils plaisent beaucoup aux architectes. L’un d’eux m’a fait cette réflexion : « C’est la première fois que je vois le béton avec un côté précieux, artistique et délicat. » Sur les salons, les gens s’imaginent que mes bijoux sont lourds et s’étonnent toujours qu’ils soient si légers.
Quels traitements appliquez-vous au béton ?
N. P. : Chaque collection s’appuie sur une technique particulière. Quand j’utilise du béton naturel, gris, je le ponce souvent pour voir apparaître les grains de sable et les petits graviers. Le béton noir teinté dans la masse reste lisse au contact du moule et j’ajoute un petit vernis très légèrement brillant pour obtenir un effet « béton ciré ».
Je fais mon mélange dans un petit bol en caoutchouc, pas besoin de bétonnière ! Quelques gouttes d’eau suffisent pour avoir la bonne consistance, ni trop liquide, ni trop sèche. Une fois mon mélange au point, j’ai dix minutes maximum pour le couler dans les moules que je fabrique moi-même, en silicone. Les formes de mes bijoux proviennent souvent d’objets du quotidien : une poignée de porte, un tube de rouge à lèvres, un bouchon de bouteille, une gomme, etc.
Je n’ai pas de carnet de recettes, tout est dans la tête et dans les mains. Une fois que le geste est imprimé avec le bon dosage : pas besoin de peser, je sais que c’est la bonne consistance. C’est très satisfaisant, et la surprise du démoulage est géniale ! Quand on met des éléments décoratifs au fond du moule et qu’on coule le béton par-dessus, on ne sait pas quel résultat cela va donner. Je dois me retenir de démouler trop vite.
Et vos projets ?
N. P. : Actuellement, je travaille sur une collection de béton blanc… Je teste la solidité, la texture et la pertinence des associations de matières : j’adore cette phase, qui est le point commun entre ma formation de chercheuse et l’artisanat d’art. Il devrait y avoir de superbes contrastes avec le doré, du sable et des coquillages. Je dois encore trouver le bon béton pour obtenir une teinte vraiment blanche. Cela représente beaucoup d’essais.
J’aimerais aussi monter des collaborations avec des entreprises de la filière béton. Pourquoi ne pas imaginer des collections, des cadeaux d’entreprise ou des expositions communes ? Cela me permettrait de tester différentes formulations et de bénéficier de leurs conseils techniques. Quant aux entreprises, elles pourraient communiquer sur des créations valorisant leur matière, la rendant précieuse et glamour.