1. Qu’est-ce que le béton précontraint ?
Le béton précontraint est considéré comme l’une des innovations majeures de la construction du XXe siècle… On parle même d’une technique révolutionnaire !
Bien avant l’invention du béton, le principe de la précontrainte se rapproche de la gravité qui s’exerce sur la clé de voûte d’un arc en pierre (celui d’un pont ou d’une cathédrale par exemple).
La précontrainte repose sur la combinaison de forces opposées : la compression et la traction.
Le béton résiste très bien à la compression mais beaucoup moins aux tractions qui s’exercent et le fragilisent, comme sur la partie basse d’une poutre d’un pont.
Le béton précontraint consiste à placer des câbles en acier tendus par des vérins, à l’intérieur ou à l’extérieur du béton, afin de comprimer celui-ci et d’augmenter sa résistance.
Il existe plusieurs techniques (pré-tension, post-tension) pour réaliser des structures telles que des poteaux, des poutres, des dalles de planchers…
2. Quels sont les avantages pour la construction ?
Le béton précontraint est classiquement utilisé dans des ouvrages d’art comme les ponts ou les viaducs ou encore des enceintes de centrales nucléaires…Bref, tout ce qui doit être parfaitement solide et durable !
On peut aussi utiliser les atouts du béton précontraint pour des grands plateaux, des tours de bureaux…
La tour HEKLA conçue par Jean Nouvel à La Défense s’élève ainsi à 220 mètres de haut et se compose de 48 niveaux en planchers précontraints !
Avec une réduction de 30 % de l’empreinte carbone grâce à la précontrainte qui optimise la matière première en combinant les propriétés du béton et de l’acier.
L’affinement des planchers grâce à la précontrainte permet de réaliser davantage de niveaux sans forcément augmenter la hauteur d’un bâtiment.
Par ailleurs, en réduisant le nombre d’éléments porteurs, comme les poteaux, la précontrainte permet d’optimiser la surface disponible, et s’avère ainsi particulièrement intéressante pour construire des parkings, des surfaces commerciales ou des équipements sportifs…
Ce type de grands plateaux offre une plus grande liberté d’aménagement et des possibilités d’évolution plus nombreuses au fil du temps.
3. Les principes de la précontrainte
Quelle est la différence entre béton armé et béton précontraint ?
Le béton armé a été inventé à la fin du XIXe siècle pour répondre aux besoins de l’architecture industrielle.
Des armatures en acier rigidifient les structures et empêchent leur déformation.
Le béton armé est aussi une innovation majeure de la construction moderne mais on dit souvent que la part du béton en traction est “négligée”.
La précontrainte optimise au maximum la section en béton pour augmenter la portée.
Par exemple, le pont de l’île de Ré est le deuxième pont le plus long de France avec ses 2,926 kilomètres lancés par-dessus les eaux ! L’ouvrage est constitué de 28 piles et 796 voussoirs (supports) préfabriqués grâce à la précontrainte.
Compression, traction : le mariage des contraires
Le béton précontraint subit une mise en compression lors de sa fabrication, avant son durcissement, ce qui lui permet de résister à la traction et à la flexion.
Des faisceaux de câbles en acier sont intégrés au béton et tendus à l’aide de vérins hydrauliques.
La précontrainte qui s’exerce est proportionnelle à la longueur du câble.
La structure en béton (poutre, pilier…) reste comprimée et peut supporter des charges importantes sans se déformer. Astucieux, non ?
Eugène Freyssinet, génial inventeur de la précontrainte !
Même s’il a peu théorisé sur son travail, Eugène Freyssinet n’en reste pas moins une figure majeure de la construction moderne.
Né en 1879 dans un petit village de Corrèze, ce fils d’artisans grandit dans des conditions très modestes où l’ingéniosité doit compenser le manque de moyens… Pour lui, tout gaspillage de matière est une trahison !
Cette vision l’animera tout au long de sa carrière. Diplômé de l’école Polytechnique puis des Ponts et Chaussées, Eugène Freyssinet a l’intuition que l’on peut optimiser le béton armé. Son idée consiste à préparer le béton aux multiples forces qui s’exerceront sur lui.
Après plusieurs années de recherche, Freyssinet dépose un brevet en 1928 et son invention prend le nom de précontrainte en 1933. L’ingénieur va réaliser plusieurs ouvrages innovants comme la halle Freyssinet ou le pont de Luzancy aux formes élancées.
Plus largement, le béton précontraint révolutionne l’art de construire au XXe siècle. Il donne lieu à des réalisations spectaculaires comme la Grande Arche de La Défense ou les passerelles du MUCEM à Marseille, un audacieux musée dressé face à la Méditerranée par l’architecte Rudy Ricciotti.
4. La précontrainte sur un chantier de construction
Précontrainte du béton en pré-tension
Une poutre est fabriquée par pré-tension lorsque les câbles en acier sont tendus avant le coulage du béton. L’opération s’effectue sur des bancs de préfabrication qui permettent de réaliser plusieurs poutres simultanément. Les câbles sont placés dans les coffrages aux emplacements voulus puis mis en tension par des vérins.
Une fois le béton durci, les câbles sont coupés aux extrémités. Ils ne peuvent se raccourcir puisqu’ils adhèrent au béton auquel ils transmettent leur tension.
La compression du béton équilibre la tension dans les aciers. La pré-tension sert généralement à fabriquer des traverses de voie ferrée, des petites poutres de ponts, des hourdis de planchers…
Précontrainte du béton en post-tension
À la différence de la pré-tension, la précontrainte en post-tension est réalisée sur le chantier à l’emplacement final des éléments. Des gaines vides sont positionnées dans les coffrages avant le coulage du béton.
Une fois celui-ci coulé, des câbles d’acier de précontrainte sont enfilés dans les gaines puis mis en tension par des vérins qui prennent appui sur le béton.
Lorsque la tension recherchée est obtenue, les câbles sont bloqués par des dispositifs précédemment installés et un coulis de ciment est injecté dans les gaines. La tension des câbles comprime alors le béton.
La technique de la post-tension est incontournable pour les grands ouvrages de génie civil.
Elle apporte de la flexibilité à la conception – sur la longueur et la portée libre des éléments – et permet une construction plus rapide.
Précontrainte extérieure au béton
Cette troisième technique, qui n’est pas issue des travaux d’Eugène Freyssinet, est moins répandue que les autres.
La précontrainte extérieure emploie des câbles en tension arrimés aux poutres mais positionnés à l’extérieur. Leur contrôle est plus accessible et un câble défaillant sera plus facilement remplacé, l’acier étant protégé par une gaine des agressions extérieures et de la corrosion.
Au cours du XXe siècle, la précontrainte extérieure a souvent été utilisée pour soutenir des ouvrages en précontrainte dont la tension avait été sous-estimée, sur des ponts notamment.
5. Quelles sont les applications les plus courantes ?
Génie civil : ponts, viaducs, tours d’éoliennes…
Depuis les années 60 environ, les ouvrages d’art en béton précontraint se sont multipliés, jusqu’à représenter aujourd’hui la moitié des ponts et viaducs du réseau routier français !
Les ouvrages réalisés en précontrainte ont des dimensions variées, d’une vingtaine de mètres de portées à des surfaces très importantes…
Parmi les ponts spectaculaires, on peut citer le Long Key Bridge en Floride, le pont de l’île de Ré (voir précédemment) ou encore le célèbre pont de Normandie.
Avec une travée centrale de 608 mètres, des pylônes de 125 mètres de haut, il était à sa mise en service en 1995 le plus grand pont à haubans du monde !
Une autre application moins connue est celle des tours d’éoliennes. La précontrainte est utilisée pour stabiliser ces ouvrages de plus en plus hauts et capter la force du vent.
Ainsi, un projet phare mené par l’entreprise Freyssinet au Brésil a vu la réalisation de 36 éoliennes de 119 mètres de hauteur, chacune renforcée par 16 câbles d’acier arrimés depuis les fondations jusqu’au sommet du pylône !
Bâtiment : les superlatifs de la précontrainte
La précontrainte par post-tension permet d’augmenter la portée des ouvrages tout en réduisant la matière première (et donc les fondations), offrant une plus grande maîtrise, de la conception à la réalisation sur site.
On la retrouve pour des planchers béton, radiers, dalles de transfert, voiles minces, dallage industriels.
Le béton précontraint s’utilise dans la réalisation de logements, tours de bureaux, espaces commerciaux, stockage…
La précontrainte sera adaptée à tous les équipements nécessitant de grands plateaux et devant supporter du poids, comme un parking souterrain ou aérien, un hôpital avec tout son matériel…
Parmi les exemples récents, on peut citer la nouvelle École Normale Supérieure réalisée sur le campus de Paris-Saclay par le célèbre architecte Renzo Piano.
La taille du bâtiment et les portées considérables de ses plateaux ont imposé le choix du béton précontraint pour sa fiabilité et la rapidité d’installation grâce à la préfabrication.
À Bordeaux, le bâtiment des Archives métropolitaines conçu par l’agence Robbrecht en Daem architecten révèle une superposition de boîtes géantes en béton précontraint. Chacun de ces volumes en porte-à-faux peut supporter plus d’une tonne au m2 !
D’autres ouvrages atypiques jalonnent cette histoire du béton précontraint, comme la Grande Nef de l’île des Vannes en Seine-Saint-Denis, monumentale coque inversée en béton précontraint, actuellement réhabilitée pour une remise en service lors des Jeux Olympiques de Paris.
Surveillance et risque
Au même titre que les autres techniques de construction, les ouvrages réalisés par précontrainte nécessitent un suivi, de l’entretien et parfois des réparations.
Le développement du béton précontraint depuis plus de 50 ans constitue aujourd’hui un patrimoine important. Les ouvrages sont multiples, leurs dimensions et leur mise en œuvre aussi…
Des comités d’expertise diffusent des supports sur ces sujets (voir par exemple le guide du CEREMA à propos des ponts).
Une attention particulière est portée sur la technique de mise en œuvre, depuis les calculs jusqu’aux vérifications (pose des gaines, tensions des câbles…).
Mais les super-pouvoirs de la précontrainte sont entrés dans l’histoire de la construction moderne !