Le béton, réponse à une contrainte d’espace, de temps et d’argent
Le 17 juin dernier, l’église Notre-Dame de la Consolation du Raincy, en Seine-Saint-Denis, a fêté ses 100 ans. Baptisée “Sainte Chapelle du béton armé” par Le Corbusier, elle mérite bien cette appellation.
Une fois la porte franchie, le visiteur est immergé dans la féérie lumineuse et chromatique de milliers de vitraux conçus par Marguerite Huré, artiste peintre et maître-verrier française, d’après des dessins de Maurice Denis.
Notre-Dame de la Consolation est la première église intégralement construite en béton armé par Auguste Perret.
Le choix du béton répondait à une triple contrainte d’espace, de temps et d’argent… et également à l’audace d’un jeune architecte qui souhaitait tester ce matériau habituellement cantonné aux ouvrages techniques ou industriels.
Pour son centenaire, on a offert à la vieille dame une cure de jouvence : le clocher, qui culmine à 43 mètres, et les vitraux du mur Sud, exposés aux intempéries, ont été restaurés dans les règles de l’art.
Le souvenir de la Grande Guerre
Le 17 juin 1923, le chanoine Félix Nègre, curé du Raincy, inaugure le tout nouveau sanctuaire. Devant la foule des paroissiens, Monseigneur Gibier bénit la nouvelle église. Grâce au béton armé, le chantier des frères Perret – Auguste et Gustave – n’a duré que treize mois depuis la pose de la première pierre, le 30 avril 1922.
Financée en grande partie par les 300 000 francs offerts par le père d’un soldat mort sur le front, l’église de 3 500 places a une double vocation : d’une part, église paroissiale pour répondre à l’essor démographique de la banlieue parisienne et, d’autre part, mémorial pour les victimes de la Grande Guerre que toutes les familles de France pleurent encore.
Le Raincy n’est pas choisi au hasard : le souvenir des soldats partant au front y est encore vif puisque c’est le point de départ des fameux taxis de la Marne, en septembre 1914.
Traditionnel… mais en béton !
Si l’église s’inspire d’un programme basilical à tour-porche assez traditionnel, le béton armé brut de décoffrage en révolutionne l’architecture.
Situé sur un terrain tout en longueur, l’édifice adopte un plan rectangulaire sans transept, en rupture avec le traditionnel plan en croix latine.
Longue de 56 mètres et large de 20 mètres, la nef comporte quatre travées, le chœur est surélevé. Une trentaine de fines colonnes cannelées sans chapiteaux – hautes de 11 mètres, avec un diamètre de 43 centimètres –, soutiennent une voûte très légère en voile de béton de 3 à 5 centimètres d’épaisseur.
Le rapport entre la largeur de leur fût et leur hauteur est novateur. Cette structure permet de libérer les murs de toute fonction porteuse et d’offrir une incroyable superficie de vitraux incrustés dans des claustras de béton armé, ajourés selon une grammaire de styles géométriques : croix, cercle, triangle ou rectangle.
La préfabrication modulaire
Visionnaire, Auguste Perret imaginait toutes les possibilités du béton : « L’œil et l’esprit encrassé par les écoles, la plupart des architectes n’y ont rien vu. Ils considèrent le béton comme un moyen puissant mais honteux qu’il faut cacher. Ils le recouvrent d’oripeaux empruntés au passé, d’enduits, de placages destinés à fatalement tomber mais jamais une matière ingrate n’a nui à la beauté d’une architecture, au contraire. La beauté du béton fait seulement trembler les marchands de pierre. ».
Les frères Perret vont en faire au Raincy l’éclatante démonstration. Leur grand atout est qu’ils sont à la fois entrepreneurs et architectes. Ils vont adopter un système de préfabrication modulaire.
Des sections de colonnes, des éléments de voûte ou de claustras coulés et moulés dans leurs ateliers sont livrés et assemblés au Raincy.
Cette standardisation des éléments limite les délais, la main-d’œuvre, les coffrages sur le chantier et les coûts.
Le chantier de l’église du Raincy a ouvert, pour les frères Perret, la voie d’une abondante œuvre religieuse. Ils perfectionneront leurs méthodes sur l’exceptionnelle église Saint-Joseph, au Havre.
S’il y a cent ans, Notre-Dame de la Consolation n’a laissé personne indifférent en opposant détracteurs et partisans du béton, classiques et modernes, elle a été classée en 1966. Elle est aujourd’hui étudiée par tous les élèves architectes et livre encore des surprises : sur le chantier de restauration, les architectes ont été subjugués par la manière dont ont été coulées les colonnes cannelées.