Avec l’architecture durable, une nouvelle grammaire de projet
Définition et principes fondamentaux
L’architecture durable ne se résume ni à quelques panneaux solaires ni à une façade végétalisée. Elle propose une approche systémique, où chaque décision est pensée pour minimiser l’impact environnemental d’un bâtiment et y améliorer la qualité de vie. Cette approche privilégie :
- l’efficacité énergétique;
- l’usage de matériaux durables;
- le respect des écosystèmes naturels;
- la durabilité sociale (confort, santé, accessibilité, participation des usagers…);
- et une conscience du cycle de vie du bâtiment, de la construction à la déconstruction.
Architecture durable, écologique ou bioclimatique ?
Ces termes sont souvent utilisés de manière interchangeable, mais recouvrent des nuances.
L’architecture écologique insiste principalement sur la préservation de l’environnement via des matériaux sains, non polluants, et une faible consommation d’énergie.
L’architecture bioclimatique repose sur une conception en lien direct avec le climat local (orientation, inertie thermique, ombrage, ventilation naturelle). Elle tire ainsi parti des ressources naturelles pour assurer un confort sans surconsommation.
L’architecture durable, quant à elle, englobe ces deux approches, mais intègre en plus des dimensions économiques, sociales et culturelles; elle s’inscrit dans une logique d’urbanisme durable.
Quelles stratégies vers une architecture plus durable?
À l’occasion du Forum mondial Bâtiments et Climat, organisé à Paris en 2024, les architectes du monde entier ont réaffirmé leur volonté d’agir. L’Union internationale des architectes (UIA), le Conseil des architectes d’Europe (CAE) et le Conseil national de l’Ordre des architectes ont fait une déclaration commune engageant la profession à des changements concrets : favoriser la rénovation plutôt que la démolition, renoncer aux matériaux les plus carbonés, prioriser une utilisation responsable du foncier pour éviter l’étalement urbain, proposer des solutions d’adaptation au risque climatique, promouvoir la biodiversité…
Parallèlement, et à cette même occasion, les acteurs mondiaux du ciment et du béton se sont réunis lors d’une conférence organisée par GCCA (Global Cement and Concrete Association) et France Ciment afin d’établir un cadre d’action commun permettant de décarboner le bâtiment.
Concevoir avec le climat : efficacité énergétique et intelligence bioclimatique
L’architecture durable commence dès la phase de conception, en tirant parti des éléments en présence. L’approche bioclimatique repose ainsi sur une compréhension fine des flux d’air, de lumière et de chaleur. Une orientation optimale du bâtiment, sa bonne compacité, des protections solaires adaptées, ou encore une ventilation naturelle bien pensée permettent de limiter les besoins en chauffage ou en climatisation.
Dans ce contexte, les matériaux à forte inertie thermique jouent un rôle clé. Leur capacité à emmagasiner la chaleur le jour et à la restituer la nuit permet de lisser les écarts de température, notamment en été. Bien intégrée à une stratégie de ventilation nocturne, cette propriété améliore significativement le confort thermique des occupants, sans recours à des dispositifs énergivores.
Appartenant à cette famille de matériaux, le béton peut contribuer au confort d’été. Et ce, sans compromis sur la pérennité du bâtiment. L’exemple précurseur de la médiathèque de Frontignan, conçue par Tautem Architecture, illustre bien ce potentiel.
Intégrer les énergies renouvelables
Les bâtiments durables sont souvent dotés de solutions de production d’énergie renouvelable (équipements solaires, éolien de petite échelle ou géothermie), couplées à une gestion fine des consommations. Ainsi, au-delà de la performance énergétique (les bâtiments passifs peuvent économiser jusqu’à 90% d’énergie), l’autonomie devient un objectif réaliste pour certains projets, notamment ceux qui visent le label BEPOS (bâtiment à énergie positive, produisant plus d’énergie qu’il n’en consomme).
Végétaliser pour mieux vivre la ville
La végétalisation des bâtiments (toitures, façades, patios) joue aussi un rôle essentiel dans la régulation thermique, tout comme dans la gestion de l’eau de pluie, la promotion de la biodiversité et l’amélioration de la qualité de l’air. En été, les plantes réduisent le phénomène d’îlot de chaleur urbain et participent à l’isolation thermique.
Construire sobrement, avec des matériaux biosourcés et recyclés
Réduire l’impact d’un bâtiment passe aussi par une sélection avisée des matériaux. Alors qu’il reste indispensable pour ses qualités structurelles, le béton connaît une transformation significative. Les bétons bas carbone, formulés avec des liants alternatifs, réduisent fortement les émissions de CO₂. Le programme immobilier Le 8e Chemin a par exemple expérimenté un liant carbo-négatif pour diminuer de 90% l’empreinte du matériau. Les bétons biosourcés se développent aussi, à base de fibres végétales. Quant aux bétons recyclés, ils intègrent des granulats issus de la déconstruction.
Le réemploi de composants issus de chantiers déconstruits est en effet en plein essor, même si les freins juridiques et logistiques restent importants. Cette quête de sobriété s’étend à la gestion de l’eau (toitures récupératrices) et aux déchets (compostage).
Réhabiliter et transformer plutôt que reconstruire
Envisager la rénovation et la reconversion du bâti plutôt que sa démolition, exploiter le potentiel du «déjà-là», préserver la mémoire des lieux… constituent par ailleurs des tendances fortes de l’architecture durable. Cela restreint l’artificialisation des sols, tout en limitant la consommation de ressources et les émissions carbone. Et si construction neuve il y a, les architectes réfléchissent de plus en plus à la réversibilité fonctionnelle (des bureaux transformables en logements, par exemple), afin de prolonger la vie du bâtiment.
Le béton se prête particulièrement bien à la démarche : sa résistance mécanique autorise de longues portées et ainsi un plan libre (absence de cloisons porteuses) facilitant les transformations. Sa durabilité (parfois au-delà de 100 ans) constitue un atout supplémentaire. Les exemples ne manquent pas, comme la Halle Freyssinet née dans les années 1920 et accueillant aujourd’hui la Station F, ou les nouveaux bureaux de la Société Générale à Esch-sur-Alzette, avec leur structure tramée favorable à l’évolutivité des espaces sur le long terme.
Les innovations au service de l’architecture durable
L’impact des nouvelles technologies, BIM en tête
La transition écologique de l’architecture passe aussi par une transition numérique. S’il permet de coordonner le travail des différents acteurs d’un projet autour d’une maquette numérique, le BIM (Building Information Modeling) constitue un support de conception intégrée pour l’architecte. Il lui permet de modéliser un bâtiment dans ses moindres détails, en maîtrisant ses impacts environnementaux et en projetant ses usages (occupation, entretien, transformation) tout au long du cycle de vie.
Quant à l’impression 3D, elle ouvre à l’architecte un nouveau champ d’expérimentation. Elle autorise des formes plus libres, plus organiques, parfois inspirées du vivant, et permet d’optimiser la matière. A Reims, le bailleur social Plurial Novilia expérimente l’impression 3D depuis 2019 pour des maisons individuelles, et plus récemment pour des petits collectifs en R+2. Côté ouvrages d’art, la passerelle Diamanti offre l’un des exemples les plus marquants de cette révolution technologique.
Des réalisations inspirantes
Partout dans le monde, des projets innovants démontrent qu’une architecture exigeante et bas carbone est possible. Se voulant un modèle de reforestation urbaine, les tours du Bosco Verticale (Stefano Boeri Architetti), à Milan, accueillent 15 000 plantes, 5 000 arbustes et 800 arbres sur leurs façades. Outre le retour de la biodiversité en ville, ce concept permettrait de capter 20 tonnes de CO2 par an et de réduire les besoins en chauffage et climatisation (même si certains spécialistes interrogent l’impact environnemental des choix constructifs ou celui de l’installation des arbres en hauteur).
Allant plus loin, le bâtiment 2226 (Baumschlager Eberle), à Lustenau, maintient sa température intérieure entre 22 et 26°C, sans chauffage ni climatisation; il utilise la chaleur résiduelle des occupants, des ordinateurs, de l’éclairage et du rayonnement solaire. Conçu en 2013, le modèle se répand peu à peu: le premier bâtiment 2226 français naîtra bientôt à Lyon, doté d’une structure béton remplie de briques creuses.
D’autres projets encore explorent une conception frugale à partir des ressources disponibles sur site – comme le groupe scolaire Voltaire (a+ Samuel Delmas), à Châtenay-Malabry, avec son béton porteur comprenant 100 % de granulats issus du recyclage.
Il faut aussi savoir que depuis 2007, le Global Award for Sustainable Architecture récompense chaque année une poignée d’architectes engagés. Parmi ces derniers: Lacaton & Vassal et Frédéric Druot, pour leur démarche de valorisation du bâti – notamment la rénovation de trois tours des années 1960, à Bordeaux.
L’inscription dans une démarche d’urbanisme durable
L’architecture durable ne peut répondre seule aux défis climatiques. Il faut inscrire les bâtiments dans une démarche plus vaste d’aménagement urbain, à travers quatre axes structurants :
- mobilités douces, pour réduire l’usage de la voiture, apaiser les rues et limiter la pollution.
- Une densité maîtrisée, pour éviter l’étalement urbain et favoriser la vie de quartier.
- La préservation de la nature, avec des trames vertes, des sols vivants, des continuités écologiques.
- La participation citoyenne, car bâtir la ville, c’est d’abord répondre aux besoins de ses habitants.