Une remontée jusqu’à – 33 000 ans
Un beau jour de 1985, en plongeant dans les calanques, Henri Cosquer découvre l’entrée d’une galerie par 37 m de fond. Prudemment, il explore les lieux. En remontant un siphon de plus de 100 m, il parvient à une plage émergée et à deux grandes salles. Sur les parois, plus de 500 peintures et gravures, un exceptionnel ensemble d’art pariétal remontant au paléolithique supérieur.
Ici, de 33 000 à 19 000 ans avant notre ère, Homo sapiens a représenté la faune qui l’entourait : des chevaux, des aurochs, des cervidés, des phoques et même des pingouins, tout le bestiaire de la dernière glaciation. Peu de représentations humaines, mais beaucoup d’empreintes de mains au pochoir et des symboles gravés au doigt, au silex, ou dessinés avec du charbon de bois et du pigment rouge. Hélas, les œuvres sont vouées à l’effacement en raison de la montée inexorable des eaux, qui gagnent 3 mm chaque année. Seul un sauvetage virtuel est possible, et les outils numériques permettent une reconstitution scientifique de grande envergure. Bientôt la réplique sera le seul témoin de ce patrimoine.
Renaissance de la Villa Méditerranée
La Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur propose la Villa Méditerranée, à l’entrée du Vieux port de Marseille, en face du Mucem, pour accueillir cette réalisation d’excellence.
Spectaculaire, avec son avancée en porte-à-faux de 40 m sur un bassin d’eau de mer de 2 000 m2, c’est le bâtiment idéal pour la nouvelle grotte Cosquer et pour un ensemble d’espaces dédiés à la plongée sous-marine, à la préhistoire et à la montée des mers.
Il a été conçu en 2013 par les architectes Stefano Boeri et Ivan Di Pol, mais l’architecte Corinne Vezzoni a entièrement réinventé les lieux. Pour plonger le visiteur dans l’univers marin, l’entrée se fait par une passerelle sur le bassin.
L’anamorphose, indispensable
Parmi les défis à relever, comment faire tenir les 2 300 m2 de la vraie grotte dans un carré de 1 750 m2 ? Sans oublier les issues de secours et les locaux techniques ! Une contraction de la grotte et son découpage en six grandes écailles ont été nécessaires. Une véritable gageure scientifique, technologique et artistique !
Des logiciels dédiés pour une modélisation 3D, les photogrammétries et les images 360 HD ont permis d’obtenir une reconstitution à la fidélité exceptionnelle.
Plusieurs spécialistes se sont chargés de reproduire les lieux, les formations géologiques et les peintures. La reconstitution de la topographie a été confiée aux Ateliers artistiques du béton (AAB) qui avaient déjà à leur actif les reconstitutions de la grotte Chauvet et de Lascaux.
Parois en béton, concrétions en résine
Une première équipe a réalisé l’armature d’un parcours de 220 m. À partir des photos et du modèle 3D, ils ont restitué les passages étroits et les changements de niveaux en façonnant la matrice principale sur des cages d’acier. Cinq centimètres de béton ont été projetés sur un grillage à la maille de 20 cm par 20. Le mortier a été posé au plus près des formes définitives. Les zones qui devaient recevoir les panneaux pariétaux ont été laissées vides.
Une seconde équipe AAB, dédiée à la sculpture, a reproduit les parois rocheuses et les concrétions « mortes ». La couche de béton a été recouverte d’une peau de résine afin de restituer la brillance des concrétions « vivantes » des stalactites et des stalagmites, ainsi que les belles draperies de la grotte.
Une troisième équipe a réalisé en résine les concrétions karstiques.
Trois géologues les épaulaient pour éviter les erreurs d’interprétation et leur expliquer la genèse de telle ou telle texture de roche. Une aide précieuse qui permettait selon les cas de rectifier une fissure de calcite pas assez nerveuse sur le béton frais ou de refaire une projection plus conforme au modèle géologique. Les panneaux des peintures pariétales ont été fixés au maillage par des équerres métalliques avant un dernier raccord de béton.
Ouverture au public en juin 2022
La nouvelle grotte Cosquer a ouvert ses portes au public et le résultat dépasse toutes les espérances. Au passage du visiteur, qui a pris place à bord de modules d’exploration d’une capacité de six personnes, les peintures s’éclairent et la magie des lieux plongés dans une semi-obscurité est encore renforcée par la nappe d’eau. Grâce au travail titanesque des savants, des sculpteurs et des peintres, le public va plonger dans les entrailles de la mer à la découverte de ce trésor englouti.