Cours Freyssinet (© Wilmotte-Associes)
Quelle est la durée de vie du béton dans notre patrimoine immobilier ?
Joseph Abram : Il faut distinguer deux sortes de durée : l’une, technique, liée à la qualité intrinsèque des constructions en béton ; l’autre, sociologique, liée à leur usage, à l’obsolescence des dispositifs spatiaux mis en œuvre. Techniquement, la durée de vie du béton n’est plus à prouver… Perret s’émerveillait devant l’indestructibilité des bétons romains. Cette longévité caractérise aussi le matériau dans sa forme moderne, le béton armé. Il y a eu des bétons empiriques et des bétons savants. Je suis toujours ébloui par la qualité technique des premiers ponts en béton de Freyssinet. Ils ont des portées de 70 mètres et sont, depuis plus d’un siècle, toujours en fonction. Freyssinet s’attachait au dessin des structures, mais aussi à la chimie du matériau au point de contrôler lui-même la fabrication du ciment…
Durée de vie du béton : La démolition ne serait donc pas forcément le fait de la vétusté ?
J. A. : Effectivement. Certains édifices, notamment ceux de la première moitié du XXe siècle, ont mal vieilli du fait de la porosité des bétons et de leur carbonatation. Mais il est rare que la stabilité d’un ouvrage soit compromise par ce type de dégradation, que l’on sait enrayer… La plus grande part des démolitions, je pense plus particulièrement aux barres des grands ensembles, tiennent à des raisons sociologiques dont l’origine remonte aux politiques d’urbanisme des années 60, plutôt qu’à une question de durabilité des bétons.
Comment allonger la durée de vie d’un bâtiment en béton ?
J. A. : Tout dépend du statut de l’édifice. Je me souviens des discussions que j’ai eues, au début des années 1980, avec les ingénieurs du CEBTP qui ont fait le diagnostic de l’église du Raincy. Ils ont pu, en observant le bâtiment, reconstituer le déroulement du chantier des frères Perret. Malgré la décrépitude des bétons, l’ossature résistait parfaitement. S’agissant d’un chef-d’œuvre d’envergure mondiale, sa restauration méticuleuse s’imposait dans le respect du matériau originel.
C’est cette authenticité du matériau qui a inspiré, au début des années 1990, les expériences pionnières d’Inès Lamunière et de Patrick Devanthéry en matière de restauration des bétons, comme on peut le voir au complexe balnéaire de Bellerive-plage à Lausanne (Marc Picard, 1937) ou à l’amphithéâtre de l’EPFL (Jean Tschumi, 1962), qu’ils ont réhabilités de façon exemplaire. Ce même souci d’authenticité anime aussi les travaux de l’équipe de Frantz Graf à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) – voir encadré.
La conservation ou la reconversion allongent-elles la durée de vie du béton ? Pourquoi selon vous ?
J. A : Oui. Pour d’évidentes raisons économiques, mais aussi culturelles. On assiste, depuis quelques années, à un changement d’attitude face aux constructions en béton. Le matériau, traité de façon poétique par des architectes comme Rudy Ricciotti ou Pierre-Louis Faloci, n’est plus un repoussoir. Les édifices anciens bénéficient de cette nouvelle approche. Les architectes de la jeune génération ont un rapport ouvert au passé comme source d’enrichissement de leurs projets. Or le béton, marqué par ses origines industrielles, est un puissant réservoir sémantique…
Quels exemples à base d’architecture béton vous paraissent emblématiques ?
J. A : Parmi les réalisations emblématiques, je citerais la reconversion du centre administratif de Pantin (Jacques Kalisz, 1965) en centre chorégraphique par Antoinette Robain et Claire Guiesse (2004), la réhabilitation du Musée d’Art Contemporain de Dunkerque (Jean Wilerval, 1982) par Benoît Grafteaux et Richard Klein (2005), mais aussi les multiples transformations menées en France par Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal et celle de la Halle Freyssinet, à Paris, par Jean-Michel Wilmotte.
(1) Joseph Abram a notamment réalisé le dossier de demande d’inscription de la Ville du Havre sur la Liste du patrimoine mondial – démarche qui a abouti en 2005 -, et travaille depuis 2010 au dossier Unesco de la Ville de Metz.
(2) Bureau d’études spécialisé dans les sols, matériaux et bâtiments.