Après la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’il est question de construire la nouvelle chapelle Notre-Dame-du-Haut sur la colline de Bourlémont, à Ronchamp, en Haute-Saône, le site a déjà une longue histoire : un temple romain, une première chapelle du Moyen-Age incendiée en 1913, puis une seconde, bombardée en 1944, se sont déjà succédé sur les lieux, qui accueillent les pèlerins depuis des siècles.
Révolution plastique
La commission d’art sacré, menée par son secrétaire, le chanoine Lucien Ledeur, et l’inspecteur des monuments historiques des Vosges, François Mathey, va faire preuve d’audace en proposant le chantier à Le Corbusier, concepteur de la Villa Savoye et de la Cité radieuse. D’emblée, l’architecte est séduit par le cadre : « Je n’avais rien fait de religieux, mais quand je me suis trouvé devant ces quatre horizons, je n’ai pu hésiter. » Il va s’inspirer de l’un de ces « objets à réaction poétique » qui lui sont chers : une carapace de crabe ramassée sur une plage de Long Island, aux États-Unis.
Le Corbusier conçoit une chapelle toute en courbes, dont les quatre faces aux parois concaves sont orientées vers les points cardinaux. Spécialement aménagé, le mur Est pourra accueilir en extérieur les grands rassemblements, et trois tours abriteront des chapelles latérales constituant autant de puits de lumière. Emblématique, comme suspendu, un vaste toit recourbé recouvrira l’édifice dont la forme organique va révolutionner l’architecture religieuse du XXe siècle.
Virtuosité constructive
Le chantier débute en 1950 dans des conditions difficiles : l’accès au site est abrupt, il n’y a pas l’eau courante, on compte un seul générateur électrique… Il faut aller au plus simple et au moins coûteux. Les pierres de l’ancienne chapelle sont ainsi récupérées pour remplir une ossature de poteaux et de poutres en béton armé. Ces murs sont recouverts de béton projeté et enduits de chaux blanche.
Seul le grand mur Sud ne contient aucune pierre : sur son squelette de béton, on a ajouté un treillis métallique puis projeté du ciment de parement. De 3 m d’épaisseur à la base, et 50 cm en partie haute, il est percé de nombreuses ouvertures, plus ou moins grandes et profondes, qui vont créer des jeux de lumière aux variations intenses.
Le toit est constitué d’une coque creuse en béton armé brut de décoffrage. Celle-ci, comme une aile d’avion, est composée de deux membranes en béton de six centimètres d’épaisseur, et distantes de 2,26 mètres – leur finesse et leur forme sont un exploit au regard des moyens techniques à disposition. Imperméable et isotherme, ce toit est simplement posé sur les 15 piliers en béton armé de l’ossature ; entre lui et les murs, un interstice de quelques centimètres laisse entrer la lumière dans la chapelle.
Cette monumentale sculpture qu’est Notre-Dame-du-Haut, Le Corbusier la présentera avec ces mots, le jour de l’inauguration : « Excellence, je vous remets cette chapelle de béton loyal, pétrie de témérité peut-être, de courage certainement…»
Perpétuelle évolution
En soixante-dix ans, bien des étapes ont ponctué la vie de Notre-Dame-du-Haut. Plusieurs bâtiments annexes complètent la chapelle, comme l’abri du pèlerin et la maison du chapelain. Proche du sanctuaire, la pyramide de la Paix, édifiée en gradins avec les pierres de l’ancienne chapelle, rend hommage aux soldats morts pour la France. Au fil des ans, d’autres grands maîtres apporteront leur touche au sanctuaire : en 1975, Jean Prouvé réalise le campanile ; en 2006, Renzo Piano complète le site en construisant un couvent pour les sœurs clarisses de Besançon (voir encadré) et une porterie pour l’accueil du public.
Dans le domaine de l’architecture religieuse – et de l’architecture en général -, il y a un « avant » et un « après » Ronchamp. La chapelle est inscrite aux monuments historiques en 1965, puis classée en 1967 ; l’ensemble de ses annexes et le campanile sont classés en 2004. En 2016, le site est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.
Alors que d’importants travaux de restauration s’achèvent, la chapelle a retrouvé blancheur et étanchéité. Elle peut de nouveau accueillir ses visiteurs comme il se doit… tout en restant fidèle au vœu de Le Corbusier, qui voulait en faire « un lieu de silence, de prière, de paix, de joie intérieure ».
Quand Piano dialogue avec Le Corbusier
En 2006, pour pérenniser le caractère spirituel de la colline de Bourlémont, l’Association Œuvres Notre-Dame-du Haut commande à Renzo Piano un monastère pour accueillir les sœurs clarisses de Besançon. Afin que ce lieu reste invisible depuis la chapelle, il va concevoir des bâtiments semi-enterrés, épousant les courbes du site. Au niveau inférieur, dédié à l’hébergement, douze cellules sont réservées aux religieuses, neuf autres reçoivent des visiteurs. Au niveau supérieur, on trouve un oratoire ouvert à tous, des salles de vie commune, des ateliers de couture, des bureaux, des parloirs…
Pour établir un dialogue avec la chapelle de Le Corbusier et supporter les 25 000 m3 de terre surplombant les bâtiments, le béton armé a été un allié de choix. Renzo Piano l’a laissé apparent et lisse, dans un ton gris lumineux obtenu avec des granulats calcaires locaux. Une sobriété faisant écho au vœu de vie simple et austère des sœurs. L’oratoire, comme Notre-Dame-du-Haut, joue avec la lumière du soleil et est doté d’une double coque rapportée sur des arches transversales.
Aujourd’hui, le monastère Sainte-Claire laisse toute sa place à la nature, autant qu’à la spiritualité et à la sérénité du lieu. Renzo Piano lui doit le prix spécial de L’Équerre d’Argent 2012.