Qu’elle est la genèse du projet Lemme ?
Pierre Vadi : Lemme est une œuvre d’art public, lauréate en 2013 du concours artistique du Centre culturel des Arsenaux à Sion, en Suisse, et inaugurée en 2019 à la suite de la rénovation du même centre.
En linguistique, un “lemme” désigne une unité autonome constituante du lexique d’une langue. Dans le vocabulaire courant, on parle plus souvent de “mots”.
Ici Lemme, qui est le titre de la sculpture et son nom institutionnel, reflète précisément une autre acception, mathématique, qui désigne un résultat intermédiaire utile à la démonstration d’un théorème plus grand. Ainsi, l’œuvre est à la fois une sculpture et un espace d’exposition.
Une œuvre qui produit de l’art, qui parle d’art et qui crée un public. Un premier cycle de douze expositions m’a été confié et, depuis, Josiane Imhasly en a repris la direction artistique.
Josiane Imhasly : Lemme est une sculpture en béton à explorer comme une maison. C’est une zone intime dans l’espace public du Centre culturel des Arsenaux, avec de nombreux passants qui viennent emprunter des ouvrages à la médiathèque. Ils sont tous dotés d’un background très différent.
Les vernissages et les finissages donnent lieu à des apéro-discussions et à des performances artistiques. La sculpture fonctionne comme une fiction architecturale. Lemme, par sa taille réduite, constitue une “image” de bâtiment. En béton brut, il comporte quatre faces : sur l’une d’elles, une grande fenêtre classique de vitrine de magasin, sur les trois autres plusieurs petites fenêtres permettent de nombreux points de vue sur les œuvres et fragmentent l’espace.
Pierre Vadi : Le béton confère ici une sorte de crédibilité à la fiction, celle d’un matériau connotant l’architecture et dédié à la construction. Son aspect brut dans les espaces d’exposition renforce l’idée d’un projet se construisant à partir d’une forme qui semble intermédiaire.
Comment a été conçue cette structure complexe en béton ?
Pierre Vadi : L’élaboration de Lemme est le résultat d’un long travail de transformation d’une maquette. Je ne suis pas architecte et j’ai voulu d’abord creuser des espaces dans un volume plein.
J’ai assez vite compris que dépasser l’étape du bricolage allait être difficile. J’ai gardé l’idée d’un espace plutôt monolithique, ouvert et perspectif.
J’ai ensuite essayé de penser aux différentes modalités de la vision, appliquées à différents champs, à différents langages, plastique, muséographique, cinématographique, littéraire.
Une vue simple, frontale, une vue partielle, cadrée mais rapprochée, une anamorphose, une vue en enfilade, du hors champ, une scène. Je savais que voir relève d’une pulsion active.
Puis, je suis allé voir l’architecte Christian Dupraz. Il a fallu simplifier la maquette, renoncer à des ouvertures, mais il a conservé le côté improbable du projet, les angles bizarres, les maladresses.
Le bureau a ensuite dessiné les fenêtres, dressé tous ces plans, armature, électricité, coffrage, calepinage, avant qu’on s’accorde avec le maître d’ouvrage afin de trouver la meilleure situation, l’orientation la plus juste et qu’on puisse au maximum abriter Lemme sous cet arbre près duquel il est maintenant installé.
Et les règles de la programmation ?
Josiane Imhasly : Pierre Vadi et le service de la culture ont prévu une programmation d’art contemporain dynamique, avec des curateurs qui changent tous les deux ans.
Depuis le début du projet, l’idée de Pierre était de laisser le bébé à d’autres personnes et de voir ce qu’ils en feraient. Les artistes appréhendent cette structure avec intérêt.
Elle impose de travailler différemment avec l’espace et les points de vue à travers les différentes fenêtres, une connexion avec le corps.
Lemme impose sa règle du jeu au spectateur ?
Pierre Vadi : Les visiteurs ne pénètrent pas dans les espaces. Ils découvrent les expositions par les fenêtres, dont la sculpture est percée. C’est bien le corps qui fait le point de vue.
Le point de vue est la condition de la perspective, et la perspective le corrélat du point de vue. Les éléments de cette scène construisent un jeu à foyers multiples, d’où chaque point émet et dans lequel le visiteur peut se reconnaître et se situer.
Je crois que ce rapport instaure une distance respectueuse pour celui qui voit. Je pense que l’organisation de cette connaissance est une mission importante de l’art, parce qu’elle engage à une réflexion participative et consciente du monde.
Sculpteur, plasticien, créateur d’installations et d’interventions architecturales, Pierre Vadi est diplômé de l’École supérieure d’art visuel de Genève. Son travail mesure l’écart entre la matérialité de l’art, le langage et certains sols (à savoir : la géographie, le territoire, le paysage, le ou les socles du vivant, mais aussi les produits de l’histoire, la terre comme ressource d’un monde “fini”).
Josiane Imhasly
Depuis le début de l’année 2022, elle est responsable de la programmation de Lemme.
• Jusqu’au 26/11/2022 : Herbert Weber
• Du 10/12/2022 au 11/03/2023 : Thomas Julier
• Du 01/04 à l’été 2023 : Florence Jung