Un havre scientifique au service de la paix
En 1949, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le prix Nobel de physique Louis de Broglie lance l’idée de créer un laboratoire scientifique européen afin d’endiguer la fuite des cerveaux vers l’Amérique et d’unifier le continent.
C’est chose faite le 29 septembre 1954, lorsque la convention du Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) est ratifiée et permet de créer officiellement l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire.
Constituant aujourd’hui le plus grand centre de physique des particules du monde, le CERN aura bientôt 70 ans, mais reste fidèle à sa vocation, résumée ainsi par Gian Francesco Giudice, actuel chef du département Physique théorique : « Un environnement de recherche où la créativité et le talent de chacun peuvent s’épanouir, au nom de la science, de la paix et de la coopération. »
Véritable complexe immobilier
Au fil du temps, de nombreux bâtiments remarquables ont été édifiés autour du main building construit dans les années 1950 par les architectes zurichois Rudolf et Peter Steiger – ceux-ci ont fait la part belle au béton armé apparent pour déployer une architecture moderne, influencée par Le Corbusier, Auguste Perret ou encore Frank Lloyd Wright.
On peut citer, parmi beaucoup d’autres, le bâtiment 40 et son vaste atrium, signés Jacques Perret (1996), le Globe de la science et de l’innovation, de Paolo Bürgi (2004), ou encore le bâtiment 774, d’Octavio Mestre et Francesco Soppelsa (2015).
Dernier en date, avec ses formes brutes et son béton apparent : le Portail de la science, de Renzo Piano, livré en octobre dernier. Aujourd’hui, le site compte plus de 600 bâtiments, 54 km de routes et 64 km de tunnels, accueillant chaque jour 9 500 personnes.
Percer les secrets de la matière
Mais le CERN, c’est avant tout un complexe d’accélérateurs. C’est-à-dire une succession de machines qui porte les particules à une vitesse proche de celle de la lumière : chaque machine, grâce à des aimants et à des structures accélératrices, augmente l’énergie d’un faisceau de particules avant de l’injecter dans la suivante, qui prend le relais pour porter ce faisceau à une énergie supérieure, et ainsi de suite.
Dans le dernier élément de la chaîne, le Grand collisionneur de hadrons (LHC), deux faisceaux de particules sont ainsi poussés au maximum avant d’entrer en collision. Une collision dont l’énergie se transforme en matière, donc en particules, dont les plus massives existaient dans l’Univers primordial.
Indépendamment du LHC, les accélérateurs de la chaîne sont aussi utilisés pour mener des expériences à des énergies plus basses.
Des tunnels de plus en plus longs, de plus en plus profonds
Cette infrastructure n’est pas née en un claquement de doigts… Le Synchro-Cyclotron à protons (SC) ouvre le bal en 1957.
Constitué d’un aimant de 2 500 tonnes, il fournit des faisceaux de 600 MeV (mégaélectron-volts) pour les premières expériences en physique des particules et nucléaire. En 1959, est ajouté le Synchrotron à Protons (PS). Doté d’un tube à vide de 628 m de circonférence et pouvant atteindre 28 GeV, il est considéré – assez brièvement – comme l’accélérateur produisant les plus hautes énergies du monde.
À partir des années 1970, le CERN voit toujours plus grand, mais en sous-sol. Ce choix répond à plusieurs critères : l’impact sur le paysage, le coût bien inférieur à celui d’une construction en surface et la protection naturelle de la croûte terrestre contre les rayonnements.
En 1976, le Super Synchrotron à Protons (SPS) est ainsi mis en service en territoire français, après quatre ans de travaux : avec une circonférence de 7 kilomètres et une puissance de 400 GeV (450 aujourd’hui), il a notamment permis la découverte des bosons W et Z en 1983 – ainsi que l’attribution du prix Nobel de physique à Carlo Rubbia et Simon van der Meer.
En 1989, le grand collisionneur électron-positon (LEP) atteint les 100 GeV, les 27 kilomètres de circonférence et les 100 mètres de profondeur… avant d’être démantelé, dix ans plus tard, pour accueillir dans son tunnel le Grand collisionneur de hadrons (LHC), l’instrument scientifique de tous les records, avec des collisions frontales de 14 TeV qui conduisent, en 2012, à la détection d’une particule élémentaire mythique : le boson de Higgs.
Un bouclier de béton lourd
Ces accélérateurs de particules émettent des radiations contre lesquelles un bouclier est nécessaire. Et pas n’importe lequel : un bouclier de béton lourd, dont les granulats lourds et ferreux – un savant cocktail de barytine, d’hématite, de magnétite et de grenailles d’acier – contribuent à atténuer les rayonnements ionisants.
Le béton lourd, grâce à la densité de ses granulats, permet de réduire l’épaisseur de ce bouclier. Sa haute densité dépasse en effet les 3 200 kg/m3, jusqu’à 6 000 kg/m3, alors que les bétons ordinaires affichent 2 300 kg/m3.
En outre – faut-il le rappeler ? –, par sa résistance et ses performances, le béton est un matériau indispensable à toute construction en sous-sol.
Ses solutions constructives assurent à la fois le soutènement, la portance, l’étanchéité et l’esthétique des ouvrages.
Le Big Bang pour demain ?
Le CERN a déjà entrepris des travaux pour concrétiser le projet haute luminosité du HLC (HiLumi LHC) à horizon 2026.
Outre de nouveaux bâtiments de surface, il s’agit de construire des infrastructures souterraines supplémentaires (essentiellement un puits, une caverne et plus de 500 m de tunnels) pour offrir au grand collisionneur la capacité de générer dix fois plus de collisions de particules.
Mais pour aller plus loin encore, un nouvel accélérateur de particules fait actuellement l’objet d’une étude de faisabilité technique et financière.
Le Future Circular Collider (FCC) succéderait au LHC, lorsque sa phase de haute luminosité arrivera à terme, en 2040.
Doté d’un tunnel de 91 kilomètres, il pourrait atteindre des énergies de collision de 100 TeV. De quoi reproduire les premiers instants du Big Bang. Reste à savoir si le projet est acté… Rendez-vous en 2028 !