Une vaste minoterie en bord de Loire
Qui pourrait se douter que sous son bardage bleuâtre des années 1970, l’immeuble Cap 44, ce grand bâtiment industriel posé en bord de Loire, au cœur de Nantes, constitue en réalité un témoignage technique et architectural unique ? Il est tout simplement l’une des premières grandes constructions du monde en béton armé toujours debout. Pour mieux comprendre l’évolution de ce trésor caché, faisons un rapide saut dans l’histoire.
Nous sommes en 1895. Paul Perraud, entreprenant meunier originaire d’Issé, en Loire-Atlantique, cherche un site pour implanter sa nouvelle minoterie. Il trouve un emplacement sur la rive droite de la Loire, dans le quartier Chantenay : l’endroit idéal pour alimenter en farine la grande biscuiterie LU et les nombreuses boulangeries alentours.
Première réalisation d’ampleur avec le procédé Hennebique
Ambitieux par ses dimensions – il mesure 63 m de long pour 24 m de large, et compte 6 niveaux –, le Grand Moulin l’est aussi par la technologie qu’il abrite, de pointe pour l’époque.
À industrie innovante, réalisation innovante : Paul Perraud, qui a attribué la conception de la minoterie aux architectes Lenoir et Raoulx et aux ingénieurs lillois E. et P. Sée, en confie la construction à l’ingénieur François Hennebique (1842-1921).
Trois ans auparavant, celui-ci a déposé plusieurs brevets sur un système constructif de son invention en béton armé, un matériau encore expérimental.
Jusqu’alors, les constructions étaient constituées d’éléments séparés, assemblés les uns aux autres à l’image d’une structure métallique (comme la tour Eiffel). Le système de l’ingénieur français, passé à la postérité sous le nom de “procédé Hennebique”, est pour sa part constitué d’éléments (poteaux porteurs, poutres, dalles…) reliés continûment les uns aux autres, l’ensemble formant une structure monolithique légère particulièrement résistante.
Aussi performant que l’acier
Grâce aux performances mécaniques de son invention, l’ingénieur peut répondre à l’une des principales contraintes du site : le passage d’une ligne de chemin de fer au pied du bâtiment. François Hennebique dessine ce dernier en surplomb de la voie ferrée grâce à de larges consoles en porte-à-faux, d’une portée de 4,2 m. Cette partie en encorbellement soutient la façade et les éléments structurels, mais également les lourdes charges des chaudières utilisées pour la production, qui pèsent 7,5 t/m2 ! A l’époque, seul l’acier peut rivaliser.
« Voici la construction qui m’amena un peu de notoriété », confie Hennebique en 1899, lors du troisième Congrès du béton armé. Il en bâtira ensuite des dizaines de milliers, diffusant son procédé et ce matériau composite dans le monde entier. Hennebique est en effet “l’inventeur” de la démarche de dimensionnement des ouvrages en béton et des bureaux d’étude du béton armé.
Un bâtiment, plusieurs vies
Depuis lors, le Grand Moulin de Nantes a connu plusieurs vies. Il a été recouvert d’un bardage en 1974 et renommé « Cap 44 », à l’occasion de sa reconversion en immeuble de bureaux, et demeure vide depuis 2012.
Après des débats passionnés, son actuel propriétaire Nantes Métropole, sensible à sa valeur patrimoniale, a finalement décidé de le sauvegarder en le transformant sur le thème de l’inédit, de l’imaginaire et du vivre ensemble. Une preuve que la conception innovante de cet ouvrage permet aujourd’hui de lui trouver un nouvel usage, adapté aux besoins actuels. Un étage “témoin” sera consacré à l’histoire singulière du lieu. Les travaux de transformation devraient démarrer mi-2020 pour une livraison attendue à horizon 2024.
Bien sûr, les bardages bleus seront quant à eux supprimés, laissant apparaître la fine structure de béton armé qui a su traverser l’histoire.