La genèse du projet
L’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est une institution prestigieuse, où sont abolies les frontières entre les disciplines scientifiques. Mathématiciens, ingénieurs, neuroscientifiques et microtechniciens imaginent ici les technologies de demain.
Au cœur du campus, un nouveau bâtiment devait abriter une bibliothèque de plus de 500 000 volumes – l’une des plus grandes collections de littérature scientifique d’Europe –, un auditorium, des espaces de travail, d’expérimentation et de conférences, des restaurants, une zone commerciale et un parking de 500 places.
Pour créer un cadre d’exception, un concours d’architecture a départagé en 2004 les plus grandes signatures, parmi lesquelles Jean Nouvel, Herzog & de Meuron, Zaha Hadid, Rem Koolhaas ou encore Diller Scofidio + Renfro.
Et le gagnant est…
C’est la proposition du bureau d’architecture japonais Sanaa, dirigé par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, qui a été retenue. Son ambition : mettre l’innovation architecturale au service de l’innovation scientifique.
Pour les architectes, « la topographie créée par l’architecture entraînera des expériences encore jamais vécues dans des bâtiments traditionnels. […] Le paysage créé à l’intérieur du bâtiment est une continuation du paysage que l’on retrouve sur le campus et dans la ville. Nous étions enthousiasmés par la possibilité de penser à des espaces où les personnes se rencontrent, étudient et créent des ensembles de connaissances entièrement nouveaux. »
Patrick Aebischer, alors président de l’EPFL, se réjouissait devant la maquette du futur bâtiment : « Le Rolex Learning Center illustre parfaitement notre école, où les frontières traditionnelles entre les disciplines sont dépassées. »
Des vagues de béton iconiques
Depuis les rives du Léman, on ne découvre le Rolex Learning Center qu’au dernier moment. Vu des airs, c’est une large vague rectangulaire de 22 000m2, ondulée et percée de patios.
Le bâtiment est extrêmement novateur, avec des pentes douces et des terrasses ondoyant autour de 14 patios, constituant de véritables espaces sociaux. La limite entre l’intérieur et l’extérieur s’estompe.Les volumes générés sont amples, lumineux et sans discontinuité.
Depuis 2010, 11 000 personnes le fréquentent : 7 000 étudiants et 4 000 chercheurs se sont approprié ce lieu où l’on développe Solar Impulse, le célèbre avion solaire, et l’Hydroptère, qui a battu en 2009 le record de vitesse sur l’eau.
C’est aussi dans ce cadre ouvert que des chercheurs élaborent le Blue Brain Project, qui modélise un cerveau humain, ou mettent au point les nanotechnologies utiles au développement de prothèses révolutionnaires pour les yeux, les oreilles et les membres.
La table de coffrage avec la pose des armatures (à gauche) et le coulage du béton (à droite).
Une édification de haute précision
Tout autant complexe est l’architecture du Rolex Learning Center. Son plancher est formé de deux coques de béton dont l’épaisseur varie entre 60 et 80 centimètres.
Chacune a été coulée en une seule fois pour garantir l’homogénéité du matériau et de sa couleur.
En tout, 1 400 tables de coffrage de 2,50 m x 2,50 m ont été utilisées pour couvrir la surface des coques et suivre leur géométrie (elles ont même été positionnées par GPS, ce qui a pris six semaines !).
Elles ont permis d’obtenir une surface lisse, polie comme de l’acier, au niveau de l’intrados (la surface inférieure des coques).
Doté d’un ferraillage allant parfois jusqu’à 500 kg/m3, le béton mis en œuvre devait être ni trop compact ni trop fluide pour infiltrer parfaitement le coffrage. Il comportait des fibres synthétiques en raison des pentes allant parfois jusqu’à 28 %.
Les nombreuses ouvertures affaiblissant l’équilibre structural, les coques intègrent 11 arcs sous-tendus (avec une tension de 500 t chacun), fixés à leurs pieds par 70 câbles souterrains.
La toiture, quant à elle, est composée d’une structure mixte acier-bois, afin de rester souple et de suivre les mouvements structuraux du bâtiment. D’un seul tenant, elle est supportée en toute discrétion par 190 fines colonnes circulaires, de 127 mm de diamètre, et 240 colonnes rectangulaires dispersées autour des patios. De quoi créer un espace ouvert, décloisonné, de près de 170 mètres de long.
Le bâtiment est isolé du sous-sol et de l’extérieur par une épaisse couche de matériaux, dans le respect du label Suisse Minergie qui garantit une bonne protection thermique et de faibles besoins en énergie.
Béton cinégénique
Un tel lieu ne pouvait qu’inspirer les artistes. Les frères Larrieu l’ont choisi pour cadre de leur film L’Amour est un crime parfait. A leurs yeux, outre sa photogénie, « il est la quasi incarnation du cerveau de Marc – le personnage principal interprété par Mathieu Amalric -, avec ses trous, ses ouvertures, ses pentes et ses points de fuite… »
Lors de la pose de la dédicace du Rolex Learning Center, le 12 février 2008, les facultés, les services généraux de l’EPFL et les bâtisseurs ont enterré des documents sous le radier de la bibliothèque. Un message des hommes, des technologies et du béton du XXIe siècle à l’intention des innovateurs du futur ?