Chargé de sensibiliser les particuliers et les collectivités aux enjeux de l’architecture, le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de Charente-Maritime a décidé d’inventorier son patrimoine de maisons individuelles sur le littoral, et en a confié la mission au professeur d’histoire de l’art Gilles Ragot.
Après plusieurs années de recherches sur l’architecture des Trente Glorieuses, un livre et une exposition itinérante voient enfin le jour. Gilles Ragot revient sur cette aventure inédite.
Gilles Ragot, comment est né ce projet ?
Michel Gallice, alors directeur du CAUE de Charente-Maritime, m’a proposé d’inventorier les maisons « individuelles, modernes et balnéaires » sur le littoral charentais. L’étude a duré six ans et, pendant cette période, le projet a beaucoup évolué.
Initialement cantonné aux constructions modernes – entre 1945 et 1980 – des 41 communes de la côte, il a été étendu à toute la production de maisons individuelles, modernes ou non – hors lotissements, déjà étudiés par Chantal Callais et Thierry Jeanmonod.
La frontière entre la résidence principale et la résidence de vacances étant devenue un peu floue avec les nouvelles conditions de vie (plateformes de réservation, télétravail, etc.), nous avons fait évoluer le terme de « maison balnéaire » en « maison de bord de mer ».
Quelle a été votre méthodologie ?
Après une première année sur Royan, j’avais déjà collecté beaucoup de matériel.
La Covid-19 a fait évoluer ma méthode de travail. En travaillant sur internet, j’ai pu conjuguer la navigation virtuelle, rue par rue, avec Street View, la consultation des cadastres et celle des photos anciennes de l’IGN.
De Meschers-sur-Gironde aux confins de la Vendée, j’ai répertorié plus de 12 000 maisons et étudié plus de 4 000 permis de construire.
Beaucoup d’ouvrages existent sur les maisons individuelles « remarquables ». Ils reposent souvent sur une petite sélection de constructions et ne prennent pas en compte les maisons ordinaires, qui sont pourtant représentatives et exemplaires de cette production. Il faut un peu de recul pour apprécier l’exceptionnel de certaines d’entre elles.
Quelles sont les caractéristiques de ces maisons d’un point de vue sociétal et architectural ?
Les années 1950 voient la démocratisation de la pratique des bords de mer. Un type de maisons-blocs massives et trapues sur un plan rectangulaire ou carré se développe.
Au cours des années 1960 et 1970, on assiste à une banalisation de l’architecture. La maison perd son identité et se métisse avec le pavillon de banlieue. 70 à 80 % de la production sont des maisons ordinaires.
La production se différencie-t-elle selon les secteurs du littoral ?
Après les destructions de la guerre, Royan est la ville de la modernité.
Sur la Côte de Beauté, autour de Saint-Palais et Saint-Georges-de-Didonne, les maisons des années 1940-1950 sont pleines de fantaisie avec une influence brésilienne. Une modernité joyeuse !
À Ronces-les-Bains, qui n’a pas été bombardée, on trouve encore des maisons de style régionaliste basco-landais typiques des années 1930, une forme de continuité avec l’avant-guerre.
La Rochelle, qui manque de plage, s’est modérément ouverte à la modernité, tandis que sur l’Ile-de-Ré on a construit dans la veine locale et préféré une unité sans création.
Avez-vous découvert des architectes-vedettes du littoral ?
Je n’ai pas vu de grandes figures nationales, mais des architectes de très haut niveau. Marc Quentin, par exemple. Jeune diplômé après la guerre, il a dessiné des dizaines de maisons avec une créativité remarquable. Il a trouvé des solutions audacieuses de distribution et de composition spatiales. Totalement inconnu mais de niveau international, l’architecte Pierre Marmouget a travaillé à la reconstruction de Royan.
Ce patrimoine architectural est-il protégé ?
À part quelques maisons à Royan, très peu sont protégées. La DRAC pourrait se servir de cette étude pour une forme de protection. L’idée du CAUE était de dresser une vue d’ensemble qui serait un outil pour les services d’urbanisme.
Quelle est la place du béton dans ces constructions de bord de mer ?
Dans ce cadre de maisons individuelles, le béton est essentiellement présent sous forme de murs en parpaings (blocs cellulaires) enduits et peints : une maçonnerie traditionnelle, sans révolution technique.
Comment est perçue cette architecture aujourd’hui ?
L’architecture des années 1950-1960 est aujourd’hui très valorisée. C’est sensible dans l’immobilier, avec une évolution forte depuis quinze ans.
ette architecture de bord de mer est devenue un bon critère de vente. Il y a une plus grande adhésion à ce style de la part des habitants, des touristes et des pouvoirs publics.
C’est sensible dans les grands travaux, comme la restauration à l’identique du Palais des Congrès de Royan, et le classement de la ville, au début des années 2000, comme ville d’Art et d’Histoire.
Une expo, un livre
Itinérante, l’exposition Maisons des bords de mer. Modernité et régionalisme en Charente-Maritime 1945-1980 présentera les fruits du travail d’inventaire mené par Gilles Ragot, photographies et maquettes à l’appui. Entrées libres et gratuites.
La Rochelle
. Du 5 au 28 avril 2023 – Maison de la Charente-Maritime
. Du 12 juin au 8 juillet 2023 – Médiathèque Michel-Crépeau Royan
. D’avril à septembre 2024 – Palais des Congrès (CIAP)
Maisons des bords de mer. Gilles Ragot. Hermann Éditeurs, 236 pages. En librairie à partir du 19 avril 2023.
Quelques villas remarquables jouant avec le béton
Contrairement aux grands ensembles du Sud de la France, une petite architecture particulière s’est développée sur le front de mer charentais. Si le béton des parois est peu apparent, ses qualités plastiques sont souvent utilisées pour réaliser des ornements architecturaux. Voici quelques exemples parfois inspirés par la Californie, Le Corbusier ou l’inspiration brésilienne d’Oscar Niemeyer.
• La villa Boomerang, de Pierre Marmouget à Royan, avec son habitation légère surélevée par une série de pilotis entre deux dalles minces de béton, son échelle plongeant directement de la coursive dans la piscine en forme de haricot, et sa casquette de béton au-dessus des marches.
• La villa Bonjoch aux lignes épurées, avec ses incrustations de schiste vert et son claustra d’alvéoles en béton préfabriqué.
• La villa Mirabelle, de René Hofliger, qui conjugue le verre, la brique et béton. La dalle de la toiture se prolonge par une casquette de béton ajourée, supportée par de fin pilotis, qui fait office de brise-soleil sans obstruer la lumière.
• La villa Canellas-Platanes, décollée du sol par une série d’étais de béton, avec son escalier enchâssé dans le mur.
• La villa Gruyère, construite par Jean Bauhain, René Baraton et Marc Hébrard, qui semble tout droit sortie d’une bande dessinée avec son brise-vue percé de trous.