Entre 1965 et 1990, Georges Adilon, personnalité libre et singulière, a émaillé la région lyonnaise, d’une trentaine de maisons aux formes géométriques primaires. Refusant toute affiliation à une école ou un dogme architectural, ce peintre formé aux Beaux-arts de Lyon, a joué avec l’espace, les formes et la lumière.
Pour lui « l’extérieur est le résultat de ce qui a été conçu à l’intérieur ». Le béton lui a donné la liberté des volumes et des aménagements intérieurs. Cheminées, bibliothèques, rangements et banquettes s’intègrent dans la structure des maisons.
Chez Georges Adilon, l’architecture et la peinture se sont nourrit mutuellement : le bâtiment est une œuvre d’art, ses ouvertures sont autant de tableaux offerts à la contemplation.
Pour la maison familiale de Brindas, sa première réalisation, il a utilisé le parpaing enduit et créé une bulle en grillage assez souple, le nergalto. L’armature métallique est recouverte de béton projeté. Une maison sculpture aujourd’hui inscrite monument historique.
En 1966, la rencontre du père mariste Marc Perrot, supérieur de l’Externat Sainte-Marie à Lyon est déterminante. Pendant quarante ans, les deux hommes vont concevoir les différents bâtiments du groupe scolaire.
Retour sur le parcours du maître, avec sa fille Marie, architecte, et son fils Blaise, photographe.
ByBÉTON : Quel homme était votre père ?
Blaise : Un homme profondément humaniste. Il détestait les codes ou qu’on le compare aux autres architectes. Grand lecteur de Montaigne, très mélomane, il avait un certain rapport à la vie, au monde et aux gens qui l’entouraient.
Marie : C’était un artiste complet, un créateur. Il abordait la peinture, le mobilier ou l’architecture de la même manière. Les premières questions qu’il se posait n’étaient pas « Est-ce que ça va tenir ? » mais comment obtenir ce qu’il avait en tête. Il façonnait, cherchait avec les ingénieurs.
Blaise : Pour lui, la peinture et l’architecture étaient une même démarche sur des univers différents. Une seule différence : l’architecture répondait à une commande alors qu’il était face à lui-même en peignant. Il suivait son chemin, peintre pour les architectes et architecte pour les peintres.
ByBÉTON : Comment est-il arrivé à l’architecture ?
Blaise : La peinture et l’architecture ont toujours coexisté en lui mais l’architecture a été un concours de circonstance. Après un bon contrat signé avec une galerie de peintures, il a demandé à Jean Prouvé de lui dessiner notre maison de famille à Brindas.
L’organisme de crédit ayant refusé le prêt, il l’a construite lui-même, sans études ni diplôme. Elle est aujourd’hui monument historique. Cette maison est une sculpture. Il y a très peu de meubles, des niches pour s’asseoir et des banquettes de béton.
Marie : Elle a été sa première œuvre d’architecte. Dix ans plus tard il l’a agrandie en utilisant plusieurs techniques, parpaings ou béton projeté.
Plus tard un client lui a demandé une maison entièrement en béton à Villemoirieu. Il a bâti une trentaine de maisons particulières.
Blaise : À l’époque, on a beaucoup parlé de la maison de Brindas dans la presse. Plusieurs personnes lui ont demandé de construire la leur.
Hélas, en 1981 la loi sur la décentralisation a donné aux maires le pouvoir sur les permis de construire. À l’époque, ils ne voyaient pas l’Architecture libre d’un très bon œil. Un combat trop pénible pour mon père qui a arrêté les maisons individuelles.
ByBÉTON : Quelle était son inspiration ?
Blaise : Ses deux sources d’inspiration étaient les clients – il passait du temps à les écouter raconter leur façon de vivre, à découvrir leur vie –, et la nature du terrain. Dans un second temps, il faisait des plans très précis, jamais de maquette.
ByBÉTON : Une de ses réalisations remarquables est l’ensemble scolaire des Maristes à Lyon ?
Blaise : C’est le résultat de la rencontre entre un religieux, le père Perrot et un athée, Georges Adilon. Une amitié de toute une vie et, sur un même site, toute l’évolution d’une vie d’architecte avec des réunions de chantier tous les mercredis après-midi.
Marie : Oui, il a réalisé pour les Maristes différents bâtiments : lycée, collège, salle de sport. Son vocabulaire utilisait des matériaux qui ont fait la preuve de leur efficacité.
En plus du béton, il y avait l’acier inoxydable pour les châssis ; les enduits intérieurs directement appliqués sur la brique et le bois travaillé dans l’atelier de menuiserie des Maristes.
Blaise : Notre père détestait la répétition. Par exemple, toutes les fenêtres des Maristes sont différentes. Un jeu de variations permanent.
Marie : Il travaillait le béton comme un peintre, jamais de la même manière. Les coffrages pouvaient être en planche, très bruts – posés verticalement ou horizontalement –, ou recouverts d’un voile de polyane pour obtenir un effet soyeux lisse ou plissé.
Blaise : Pour les Maristes, il a créé une très grande peinture en béton. Le sable modelé a été recouvert d’un voile de plastique très fin. Une première couche de peinture a été dessinée avec du ciment noir fondu puis du béton blanc a été coulé par-dessus. Une fois découpé en tronçons de six à sept mètres de longueur, cela a donné un bas-relief en béton blanc et noir.
Marie : Le béton lui a procuré une grande liberté. Beaucoup d’écoles d’architecture viennent visiter le site.
ByBÉTON : L’histoire continue ?
Marie : Voir travailler mon père m’a donné envie d’être architecte. Son atelier était à la maison, ouvert à tous. À quinze ans, je lui ai dit que j’aimerai faire quelque chose. Il m’a proposé de faire une coupe sur un projet de maison compliqué avec des tas de niveaux… j’ai commencé à travailler avec lui et à l’accompagner sur les chantiers. J’ai travaillé avec lui jusqu’à sa mort. Il dessinait, concevait, créait et je m’occupais des chantiers. Aujourd’hui je travaille toujours avec les Maristes mais nous utilisons un béton bas carbone qui n’existait pas autrefois.