Dans les années quatre-vingt, le 19 de la rue des Frigos, dans le XIIIe arrondissement, est un vieux site industriel en partie muré et squatté. Une ancienne gare frigorifique promise à la démolition lorsque la SNCF décide de louer les lieux à une colonie d’artistes. L’endroit est idéal : sur cinq niveaux, l’ancien bâtiment industriel en béton permet d’aménager une multitude d’ateliers. Les lieux sont délabrés mais indestructibles ! Les marteaux piqueurs ont fort à faire pour percer les ouvertures et faire passer des canalisations dans des dalles de 30 cm de béton.
Au milieu des gravats, des artistes comme Ben et Jérôme Mesnager créent leurs premières oeuvres. Le sculpteur Claus Velte, installé depuis vingt ans aux Frigos, se rappelle d’un terrain vague avec des rails, au milieu d’un quartier froid. « La vie a tellement changé ! Aujourd’hui cet endroit vaut de l’or. Nous sommes un peu le village d’Astérix entouré par des promoteurs. C’est un privilège d’y vivre, reprend-il, nous sommes une communauté d’artistes et de gens qui conçoivent leur quotidien différemment. Un lieu ouvert même si on nous reproche parfois de ne pas assez communiquer avec le quartier. »
Souvenirs de glace et de béton
Emblématique de l’architecture industrielle en béton, la gare frigorifique de Paris Ivry date de 1921. Elle a été utilisée jusqu’au départ des Halles de Paris pour Rungis au début des années soixante-dix. Qui se souvient que ce bâtiment aux toits pointus “à l’Alsacienne” abritait les bureaux ? Que la tour était un château d’eau nécessaire à la production de glace ?
Autrefois, les wagons déchargeaient les produits frais sur deux voies desservant des quais intérieurs dans le bâtiment frigorifique. La structure béton de poteaux et de poutres de ce bloc hermétique — 50 m de longueur ; 30 de large ; 30 de hauteur — pouvait supporter jusqu’à 7t/m2. Salle des machines, frigorifères, dépôt et chambres froides se répartissaient les étages dont les murs de 45 cm composés de couches de briques noires et de liège entre deux épaisseurs de béton armé, assuraient une parfaite isolation thermique.
Après le béton thermique, le béton phonique
En 2003, la mairie de Paris devient propriétaire des lieux. Les vieux murs de béton armé, qui ont fait leur preuve avec l’isolation thermique, vont montrer de nouvelles qualités avec l’isolation phonique lorsque des studios d’enregistrement s’installent aux Frigos et que des concerts de rock sont organisés.
La preuve que les bâtiments industriels en béton armé n’ont pas fini de montrer leurs qualités architecturales. La réhabilitation de sites, comme celles des Grands Moulins et la de la Halle aux farines devenus des bâtiments universitaires, ou la nouvelle vie des Frigos, offrent des lieux de patrimoine, de culture ou de sport aux parisiens sans imposer de chantiers de démolition/reconstruction à l’empreinte carbone importante.
Les frigos de Paris ouvrent leurs portes
Aujourd’hui, les frigos, accueillent 200 créateurs dans 87 surfaces aménagées en ateliers. Peintres, sculpteurs, artisans mouleurs, musiciens, photographes, céramistes, décorateurs et bien d’autres, se partagent une surface de presque 15 000 m2 qui est devenu un temple du tag et du Street Art. L’Association pour le développement du 91 quai de la Gare (APLD91) se mobilise pour la sauvegarde du bâtiment. Elle a fait de lui un haut lieu de la culture et organise des Journées Portes ouvertes chaque année au mois de mai.