Le béton de la mémoire…
Le Zeitz MOCAA surplombe l’Atlantique dans le Victoria & Albert Water Front de Cape Town. Un quartier semi industriel aujourd’hui en pleine réhabilitation. Cet ancien silo, édifié en 1921 était fermé depuis 2001. Une cathédrale de béton brutaliste qui fut en son temps le plus haut bâtiment de l’Afrique subsaharienne. Dans la tour haute de 57 mètres et les 42 silos, on préparait le maïs pour l’exportation.
L’architecte britannique Thomas Heatkerwick* a souhaité conserver la mémoire industrielle des lieux qui ont longtemps été le symbole des contradictions de l’Afrique du Sud. Du haut de la structure, on voit Robben Island, où Nelson Mandela a été emprisonné. « Nous avons eu l’impression qu’il y avait beaucoup de texture, d’âme et de caractère dans ce béton », explique l’architecte.
Inciter les visiteurs à entrer
Plusieurs points étaient à prendre en compte car entrer au musée n’est pas dans la culture sud-africaine. Le risque était grand de voir les visiteurs faire un selfie sur le parvis avant de repartir.
Dans ces conditions, « comment surmonter l’inertie d’un seuil et l’appréhension d’un musée d’art contemporain ?, s’est interrogé Thomas Heathherwick. Nous sommes habitués aux bâtiments ayant leur iconicité à l’extérieur. L’objectif de Zeitz MOCAA était de créer un intérieur si impressionnant que les gens ne pourraient résister à la tentation d’y pénétrer. »
Décaper, sculpter, ciseler, polir le béton
L’aspect extérieur, un vaste parallélépipède complété par une tour, a été conservé avec son alignement de grands tubes de béton aveugles.
Les murs ont été décapés pour retrouver le béton historique et son agrégat de pierre de la montagne de la Table. Un jardin de sculptures a été créé sur le toit terrasse.
Mais comment dégager un hall dans cet espace intérieur occupé par 42 tubes à grains, hauts de 33 mètres pour 5,5 de diamètre ? Au cœur du bâtiment, 9 silos ont été réunis, leur volume coupé par un ellipsoïde. Les alvéoles de leurs sections tubulaires forment une ruche en broderie de ciment. Le poli miroir de leurs tranches contraste avec l’aspect brut des murs. Cette géométrie extraordinaire doit beaucoup à un grain de maïs trouvé sur place. Numérisé, sa forme exacte agrandie à l’échelle de 10 étages a servi d’étalon à l’équipe d’architectes.
L’épaisseur de certains murs a été renforcée en coulant une nouvelle couche de béton d’une trentaine de centimètres d’épaisseur le long des parois internes des silos. Leur épaisseur passant de 170 à 420 mm. Le béton brut a été ciselé sur les dix niveaux du bâtiment. 116 alvéoles cylindriques, des passerelles et des arches ont été ainsi dégagées. Les structures maçonnées des cinq derniers étages de la tour, remplacées par des vitres facettées et convexes serties dans une grille d’acier, s’illuminent la nuit : une gigantesque lanterne vénitienne. Un pari sur la légèreté et la transparence encore renforcé par les ascenseurs vitrés.
Quelques chiffres et beaucoup de talent
Trois ans et 30 millions de livres ont suffi à l’architecte pour une réhabilitation d’une exceptionnelle qualité. Le chantier a permis de libérer une surface de 9.500 m2 sur neuf étages dont 6.000 m2 réservés aux expositions.
Ce vaste complexe comprend 80 galeries,18 salles d’activités, des librairies et un restaurant. L’hôtel de luxe The Silo Hotel complète le tableau avec 28 chambres offrant une vue imprenable.
Pour Thomas Heatherwick, « notre rôle était de détruire plutôt que de construire, mais d’essayer de détruire avec confiance et énergie et de ne pas traiter le bâtiment comme un sanctuaire ».
Une vision très modeste au regard du travail accompli et une réussite magistrale pour le premier musée d’art contemporain africain en Afrique.
Thomas Heatherwick est célèbre pour l’audace de ses réalisations. Parmi celles-ci : le Learning Hub de l’Université Technologique de Nanyang à Singapour, le Rolling Bridge de la City de Londres ou le Fund Finance Centre de Shanghai.