Quelle est la genèse de la Maison sculptée ?
Je suis artiste depuis toujours. Ma première exposition de peintures a eu lieu à Poitiers en 1963. Depuis j’ai exposé dans le monde entier, en Corée, au Québec et aux États-Unis. En 1966, à 28 ans, j’ai fait la connaissance de Robert Tatin. Il travaillait à son Palais en Mayenne*. Nous sommes devenus amis. Pour moi, ça a été le choc de la rencontre avec un artiste véritable. Une source d’énergie formidable ! En 1968, j’ai commencé à transformer une ruine de bâtiment agricole en maison d’habitation. Deux cents mètres carrés de superficie sur ½ hectare de terrain. Elle datait du moyen-âge avec des ajouts au XVIIe et au XIXe. Les murs étaient bons, les toitures en très mauvais état. J’ai commencé à pratiquer la sculpture sur béton.
Comment s’est passé votre apprentissage du béton ?
Universitaire de formation, j’ai appris tout seul sur le chantier. Cette maison est devenue une affaire de famille. Tout le monde y travaillait. Les sacs de ciment pesaient 50 kilos. J’en préparaient deux par jour. Le premier, tôt le matin pour monter la structure : deux couches d’enduit projeté, frotté à l’éponge. Le second sac, le soir, pour sculpter. Je disposais de quatre à cinq heures de battement. Au début j’utilisais le ciment pur, puis j’ai utilisé un mélange de ciment et de chaux aérienne qui ralentit le séchage et empêche le ciment de fissurer.
Aviez-vous un plan pour la Maison sculptée ?
C’est avant tout une maison pour vivre, surtout pas un musée. Nous la voulions joyeuse, pleine de couleurs. Le développement de la sculpture s’est fait parallèlement avec celui des surfaces d’occupation, par modules. Des sortes de minarets, ponctuent différents points de la maison. Ils sont réalisés à partir de petites arcades de 40 cm de haut sur 40 de long.
Et vos sources d’inspiration ?
J’ai travaillé pendant des années pour le ministère de la Culture. Archéologue, je photographiais les monuments civils, religieux et militaires. Pendant dix ans, j’ai été délégué à la conservation des monuments historiques en Bretagne. Chapelles, calvaires : dans ce pays de granit, tout est prétexte à un monument sculpté. Le sculpteur travaillait la pierre pour donner des jeux d’ombre et de lumière. Ma sculpture est très inspirée de la sculpture romane en chapiteaux et bandeaux : une sculpture très architectonique. J’ai souvent représenté des visages humains et des têtes d’animaux, beaucoup de fleurs et d’oiseaux. Lorsque le motif apparaît, la forme donne souvent le sens à une autre sculpture imbriquée à l’intérieur.
Quel artiste êtes-vous ?
L’idée générale est la même depuis soixante ans, qu’il s’agisse de peinture, de céramique ou de sculpture. Je peins et dessine cinq à six heures chaque jour. Tous les deux ans, j’édite des livres de 150 dessins. Autrefois, je pouvais cuire des céramiques de deux mètres de haut.
Ma technique est adaptée à mes émotions. Dès que quelque chose me tient à cœur, ça fonctionne et je sors de moi-même ! Il n’y a rien d’intellectuel et jamais de plan. D’abord, je crée puis je mets sur le cadastre. Tout vient de l’intérieur sans que je m’en rende compte. Je parle d’« Émotion technique ».
Avez-vous d’autres œuvres en béton à part la maison sculptée ?
En 2003, j’ai créé un totem de sept mètres de haut en béton pour un musée d’art moderne Finlandais. Une entreprise de travaux publics m’attendait sur place. Elle avait coulé la base en béton, posé l’échafaudage et mis un aide à ma disposition.
Comment vit votre maison sculptée ?
Aujourd’hui beaucoup de gens sont intéressés et je reçois tous les jours deux à quatre visiteurs, des mails et des demandes de tournages. La maison sculptée accueille de petites manifestations. J’ai pris mes dispositions pour l’avenir. L’association de la maison sculptée est propriétaire des lieux. Depuis six ans, j’en suis l’usufruitier. Elle sera gérée par la mairie et le conseil général. Aujourd’hui, je ne peux plus monter à l’échelle et je n’entreprends plus de gros travaux. La nature reprend ses droits mais il n’y a pas une fissure. Seules subsistent les traces d’anciennes peintures rouges et bleues. La mousse prend la forme des sculptures. Tout est vert !