Votre documentaire « Quelque chose de grand » vient juste de sortir en DVD. Quel est son propos ?
Mon film suit le déroulement d’un grand chantier de génie civil à travers le regard et les paroles d’une équipe de bâtisseurs rassemblant ouvriers, contremaîtres ou chefs de chantier. Plus que l’ouvrage lui-même, ce sont les sentiments, les relations fortes qui peuvent se nouer entre les hommes sur un tel chantier qui m’intéressaient. Au fond, je souhaitais faire un film sur le labeur des hommes qui travaillent au-dehors.
Vous ne vouliez pas d’un film institutionnel ?
Non ! Le groupe Eiffage, qui a en partie financé le film, m’a ouvert totalement son chantier, et j’ai pu bénéficier d’une totale liberté d’expression. C’est tout à leur honneur car il ne faut pas oublier qu’un chantier est un monde clos interdit au public. Je ne souhaitais réaliser ni un film institutionnel, ni un film technique : si j’étais rentrée dans un vocabulaire trop précis, j’aurais sans doute perdu en route tout un pan du public. Il s’agissait donc pour moi de trouver un équilibre subtil entre le bâti, la technique et l’humain.
Dans votre film, les protagonistes se livrent d’ailleurs à votre caméra de manière intime. Comment êtes-vous parvenue à “briser la glace” ?
En me fondant totalement dans le décor ! Ce film m’a demandé un énorme investissement personnel. Je me suis rendue sur le chantier deux à trois fois par semaine pendant deux ans ! Les premières semaines, je n’ai pas filmé une seule image. Immergée au milieu des équipes de chantier, je tentais d’appréhender cet environnement qui ne m’était jusqu’alors pas du tout familier. Au cours de cette période, les équipes m’ont totalement adoptée.
Par goût ou en raison de votre parcours professionnel, aviez-vous déjà quelque sensibilité pour le monde de l’architecture ou du BTP ?
Bien que je sois entourée d’amis architectes et que j’aie moi-même fait des études d’histoire de l’art, mon métier de reporter-photographe, tourné vers les sujets de société, ne m’avait jamais menée vers l’univers de la construction. Ce documentaire trouve son origine dans un heureux hasard. Celui de la rencontre entre mon producteur et Luc Weizmann, l’architecte du projet d’Achères, qui souhaitait faire un film autour de son ouvrage. C’est grâce à lui que les portes du chantier se sont ouvertes, et que les entreprises nous ont accueillis.
Quelle place occupe le matériau béton dans votre film ?
Le béton occupe une place centrale dans le quotidien des hommes de chantier. C’est pour cela qu’on le voit régulièrement dans le film, en cours de coulage, de décoffrage, ou alors en phase de finition. Le parti pris esthétique du noir et blanc, qui permettait d’être dans l’expression pure des lignes et de la lumière, révèle par ailleurs toutes les nuances de béton.
Mon film rend une certaine noblesse aux hommes de chantiers, mais également, c’est vrai, au matériau béton. Ils ont en commun une certaine rigueur : au béton « brut de décoffrage » répondent les caractères « brut de béton » des hommes qui le mettent en œuvre.
Vous évoquez la “vie de béton” des protagonistes du film. Qu’entendez-vous par là ?
Cette expression signifie que lorsqu’on commence sa vie professionnelle dans le béton, c’est-à-dire le BTP, on la finit également dans le béton. Par choix, pas par contrainte. Ce n’est pas péjoratif. Les bâtisseurs sont fiers de leur métier, malgré les conditions difficiles dans lesquelles ils l’exercent. Dans le film reviennent souvent les mots « fraternité », « famille », « travail bien fait ». Autant de valeurs que l’on peut trouver sur des chantiers de ce type. Il me semble que le BTP reste l’un des rares secteurs où l’ascenseur social fonctionne encore.
Regardez-vous les villes et leurs bâtiments autrement, maintenant que vous avez réalisé ce documentaire ?
Oui ! Lorsque je regarde un ouvrage, je pense à tous ces hommes. Je vois des corps, la sueur, j’imagine le travail qu’il y a derrière, toutes ces nuits où ils se sont levés tôt, et les sacrifices qu’ils ont dû faire vis-à-vis de leurs familles. Mais je vois aussi le côté fraternel et humain de tous ces hommes qui se sont investis dans cette aventure.
Un lieu, un architecte
Le documentaire de Fanny Tondre a pour cadre le chantier de l’unité de traitement des pollutions azotées de la station d’épuration Seine-Aval, située à Achères dans les Yvelines.
Réalisé entre 2013 et 2017 pour le compte du SIAAP (Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne), ce projet géant de près de 800 millions d’euros s’intégrait dans le cadre de la modernisation du site de Seine-Aval, qui traite les effluents de 6 millions de Franciliens.
Il est signé Luc Weizmann et a été récompensé en 2010 par deux prix spéciaux de l’Association AMO. L’architecte a par ailleurs été lauréat des Albums de la Jeune Architecture en 1989, puis lauréat du Grand Prix National de l’Ingénierie en 2010, pour son travail sur le barrage du Mont Saint-Michel. Il est membre de l’Académie d’Architecture depuis 2010.
Envie de voir le film ? Rendez-vous le 15 février
Ne ratez pas la projection organisée le vendredi 15 février 2019 à 18 h 30 à la Cité de l’architecture (75), suivie d’un débat avec Matthieu Belghiti, le producteur, Fanny Tondre, la réalisatrice, et Luc Weizmann, l’architecte ou bien procurez-vous le DVD dans les points de vente habituels et sur les plateformes de VOD.
L’art du chantier vous intéresse ?
Rendez-vous à la Cité de l’architecture et du patrimoine jusqu’au 11 mars 2019, pour découvrir l’exposition “L’Art du chantier”.
Construire et démolir du XVIe au XXIe siècle. Vous y découvrirez l’histoire des chantiers, sous un angle technique, mais également social, politique et artistique.
Consulter le site de la Cité de l’architecture et du patrimoine