En mai 1871, la Cour des comptes brûle pendant la Commune de Paris. Une longue errance débute pour l’institution. Où la reconstruire ? Sur ses ruines du quai d’Orsay ? Faut-il l’installer au Louvre ? Sur un nouveau site ? La valse-hésitation va durer trente ans avec des projets par dizaines, un concours, beaucoup d’intérêts en jeu et plusieurs architectes en lisse.
Parmi eux Constant Moyaux, Inspecteur général des bâtiments civils. Lorsque, en 1896, la cour des comptes se voit enfin attribuer un terrain, rue Cambon, Constant Moyaux refait tous ses plans.
Son quarantième projet est le bon et le chantier commence en mai 1898. Pendant 12 ans, l’architecte vivra sur son chantier « comme le maître d’œuvre vivait dans sa cathédrale ».
Le béton bien discret…
Sur une surface de 4 800 m2, Constant Moyaux fait tenir un palais administratif avec des dizaines de bureaux et de salles d’audience pour une multitude de conseillers et d’auditeurs. Il met tellement les styles classiques à contribution que son intérêt pour les matériaux novateurs comme le béton est insoupçonnable. Ainsi, l’escalier d’honneur suspendu, de style Louis XIV, digne de Mansard, est réalisé en béton de ciment armé pour un coût limité. Il recevra juste un parement de pierre.
Une bibliothèque monolithe en béton !
La modernité du bâtiment est invisible de la rue, dissimulée derrière le pompeux palais Renaissance. Il s’agit de la tour des archives, isolée du reste du bâtiment par un chemin de ronde. Elle doit remplir toutes les conditions de sécurité contre l’incendie. L’architecte choisit le béton armé, résistant aux charges, sain pour le stockage et sûr contre le feu.
Grâce à lui, il va pouvoir empiler dix étages sur trente mètres de hauteur et deux niveaux de sous-sol. Les casiers d’archives seront également réalisés en béton armé. Si bien que la tour devient une gigantesque « bibliothèque monolithe en béton » !
Une idée qui vient de Chicago
Moyaux revendique les dispositions « à l’américaine » de son bâtiment inspiré des skyscrapers, les gratte-ciels, construits par les architectes de l’École de Chicago après l’incendie de leur ville en 1871.
Les constructions en hauteur sont rendues possibles par les ossatures métalliques et l’invention de l’ascenseur. Prudent, Moyaux teste la résistance des planchers et des poutres de ciment aux charges.
En 1899, 1906 et 1910, il demande des analyses de composition du béton au laboratoire des Ponts et chaussées. La presse architecturale salue unanime « le savoir et la franchise avec lesquelles ont été traitées ces archives en béton armé (…) ». Structure de béton juste revêtue de briques, la tour des archives de la rue Cambon va faire école.
Constant Moyaux n’entendra ni les critiques, ni les louanges, Il meurt en octobre 1911, un an avant l’inauguration, après avoir offert à Paris son premier gratte-ciel.