L’annonce du classement de Saint-Émilion est toujours un événement, suscitant parfois la surprise, et d’autres fois le soulagement. Ce fut le cas en 2012, lorsque Bélair-Monange conserva son rang de Premier Grand Cru Classé.
Un résultat confirmant la bonne gestion du domaine par les Établissements Jean-Pierre Moueix (qui l’avaient acquis en 2008), et entérinant le choix d’agrandir le vignoble en le fusionnant avec les parcelles du tout proche Château Magdelaine.
Pour accueillir et vinifier les récoltes de cette désormais vaste propriété, il fut d’ailleurs demandé à Herzog & de Meuron de construire un nouveau chai. Les architectes avaient carte blanche, et une seule contrainte : que leur projet rende hommage au calcaire local.
Un environnement inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco
Avec 23 hectares en production, potentiellement 26, un nouveau chai était en effet indispensable. Et les contraintes nombreuses, car, outre la topographie du site, Saint-Émilion est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.
Les architectes des Bâtiments de France ont étonnamment préconisé de construire sur le plateau, à proximité d’un bâtiment du XIXe siècle, plutôt qu’en contrebas.
De quoi guider les réflexions de Christian Moueix, président des Établissements Jean-Pierre Moueix et propriétaire de Bélair-Monange, comme il l’a précisé aux médias en 2023 : « Nous ne pouvions pas dépasser les six mètres de hauteur. Tout cela devait s’imbriquer harmonieusement dans le paysage. J’avais deux idées en tête : faire de ce chai un hommage au calcaire, ce sol emblématique du plateau sur lequel nous sommes situés ; et évoquer l’église monolithe de Saint-Émilion au niveau de l’allée centrale. »
Jacques Herzog et Pierre de Meuron sont alors partis d’une feuille blanche, mais assurés de la confiance de Christian Moueix – qui leur avait déjà confié la réalisation d’un chai pour Dominus Estate (Californie) et d’un réfectoire à La Fleur-Pétrus (Pomerol), entre autres.
Près de huit ans s’écouleront entre ces premières études et l’inauguration du chai de Bélair-Monange, en juin 2023.
Le béton fait corps avec la pierre
Au cœur des vignes émerge désormais une véritable œuvre d’art, d’une envergure de 74 sur 36 mètres, et faisant corps avec la roche calcaire indissociable des grands vins de Saint-Émilion.
Cette roche, il a fallu la piocher, la creuser jusqu’à cinq mètres de profondeur pour créer les espaces de vinification et d’élevage. Unifiant passé, présent et futur, Herzog & de Meuron a relié le monolithe de béton à l’ancien bâtiment via la toiture de la salle de réception.
La teinte et la texture du premier établissent un dialogue subtil avec la pierre blonde du second, et non un rapport de force. L’ensemble se dresse telle une abbaye. Une grâce cistercienne aux lignes épurées, immaculées et lumineuses.
L’ange de Dürer en béton texturé
A l’intérieur, le chai de Bélair-Monange est composé de quadrants symétriques, implantés autour d’une allée centrale. Cette dernière veut être un hommage à l’église monolithe de Saint-Emilion. Elle reproduit aussi sur ses parois et son plafond “Joachim et l’ange” (1504), la gravure d’Albrecht Dürer illustrant l’étiquette du domaine. Sur les panneaux en béton texturé, réalisés grâce à un processus de fraisage et de coulage, le motif est agrandi au point de devenir abstrait. On le retrouve également gravé sur les murs en chêne d’une salle de dégustation.
Au sein des quadrants, sur plusieurs niveaux, le bâtiment se partage en divers espaces fonctionnels : réception vendange et embouteillage, cuvier, chais à barriques, etc. Le béton y apporte ses qualités thermiques pour maintenir une température stable et tempérée propice à la vinification, ou pour la réalisation même de cuves.
La grande salle de réception vitrée, surplombant le tout, à l’étage, offre une vue panoramique sur le vignoble alentour et la vallée de la Dordogne. De là, on voit également les poutres en béton de la toiture du chai, qui rappellent l’origine gallo-romaine de ce vignoble et les anciens sillons romains parfois rencontrés dans la région. Certaines ont été partiellement évidées pour permettre une ventilation naturelle et un rafraîchissement (free cooling) des espaces de travail en été.
Le chai de Bélair-Monange vinifie les récoltes du domaine depuis le millésime 2022. Bien qu’ancré dans l’histoire et l’esthétique anciennes du site, son ultra-modernité laisse espérer le rang de Premier Grand Cru Classé A. Quoiqu’il en soit, il constitue d’ores et déjà une étape incontournable pour les amateurs de vin et d’architecture.