Pour la médiathèque Montaigne, à Frontignan, vous avez proposé un projet massif en béton sans climatisation. Quelle est sa genèse ?
Dominique Delord : Il y a quinze ans à peine, proposer une médiathèque sans climatisation vous plaçait hors-jeu. Or à Frontignan, la médiathèque Montaigne devant être exemplaire dans un éco-quartier qui encourage les solutions low-tech, le challenge consistait précisément à parvenir à s’en passer (1). Pour respecter la logique d’un tel environnement, nous avons conçu l’édifice dans une optique de “free cooling”. C’est une démarche qui met à profit les écarts de température entre le jour et la nuit, et entre l’air extérieur et la température du sous-sol, pour tempérer le bâtiment. Comme le béton est un matériau champion du “déphasage thermique”, nous l’avons employé pour les parois intérieures, sols et plafonds. L’objectif était de doter le bâtiment d’une très forte inertie.
Pour cette raison, nous avons choisi de réaliser des doubles-murs isolés pour les façades. Insérer un isolant rigide au milieu du voile constituait la solution idéale pour maximiser l’inertie et préserver la cohérence esthétique. L’autre avantage de ce procédé, c’est qu’il permet aussi de constituer des embrasures profondes, qui préservent l’intérieur du bâtiment des surchauffes solaires.
Comment fonctionne le refroidissement du bâtiment en pratique ?
D. D. : Le mode constructif (façades porteuses et planchers caissons) oppose une massivité à l’extérieur à une fluidité maximale à l’intérieur. Cette dernière assure une circulation d’air optimale, qui favorise la ventilation naturelle. Nous avons donc réparti les prises d’air en façade sur toute la périphérie des grands plateaux pour qu’elles assurent une ventilation intérieure traversante. Une quinzaine de brasseurs d’air participent à la déstratification de l’air intérieur et un puits central, appelé “boîte à lumière, boîte à vents”, permet l’évacuation de l’air chaud. Ce “déstockage” s’opère essentiellement la nuit. En cas de très forte chaleur, deux des quatre tourelles de désenfumage peuvent être actionnées pour maximiser la “chasse d’air”. Le plancher chauffant-rafraîchissant, lui aussi, joue un rôle dans le dispositif puisqu’il est relié au réseau de sondes géothermiques profondes, dont le fluide ne dépasse pas 16°C.
Ce mode de rafraîchissement fonctionne grâce à des dispositifs dits « passifs », où vent et gradient de température se conjuguent pour mettre en mouvement les masses d’air. Du fait de son inertie, le béton y joue un rôle prépondérant.
Comment avez-vous relevé le défi esthétique ?
D. D. : Nous avons joué sur la texture de la peau du béton, en utilisant des planchettes de bois qui ont d’ailleurs été réemployées à l’intérieur du bâtiment pour constituer les parois des gaines et des sièges qui occupent la périphérie des plateaux.
En termes esthétiques, il n’y a pas de matériau plus polymorphe que le béton, qui offre une très grande liberté de création, qui autorise à la fois de grandes portées et une variété infinie d’aspects jusqu’à pouvoir “s’effacer” pour renforcer la fluidité des espaces intérieurs.
La médiathèque a été livrée fin 2014. Peut-on déjà mesurer les performances obtenues ?
D. D. : Nous avons déjà obtenu les certifications HQE en conception et en réalisation, mais, l’ouverture au public n’ayant eu lieu qu’au printemps 2015, il faudra attendre 2017 pour obtenir la confirmation en fonctionnement, au vu des consommations d’énergie effectives. Une série impressionnante de comptages a été disposée à cet effet. Cependant, l’été 2015 s’est bien passé et les tendances observées jusqu’à maintenant sont globalement satisfaisantes.
Avoir accordé autant de place et d’importance au béton va-t-il influencer l’avenir de cette médiathèque ?
D. D. : Le béton est inscrit dans les gènes de cette médiathèque. Il va lui assurer une longue vie. Probablement le bâtiment survivra-t-il à cet usage, c’est pourquoi nous avons intégré le paramètre “d’évolutivité” dans sa conception, en veillant à préserver ces grands plateaux libres, qui autorisent bien d’autres usages dans le futur.
(1) Les architectes de la médiathèque Montaigne sont : Tautem Architecture, mandataire, et bmc2, cotraitant.