Depuis quand portez-vous ce projet et pourquoi Chandigarh ?
L’idée de photographier la ville remonte à 1986. J’avais déjà photographié les maisons du Corbusier à Neuilly et je rêvais du voyage à Chandigarh, le seul projet où Le Corbusier a pu appliquer ses théories à l’échelle d’une ville entière. Je n’ai pas pu le réaliser avant 2010, car la situation politique était instable dans cette région du Pendjab.
Comment s’est passé la construction de la ville ?
Le Corbusier a tracé les plans de la ville à partir de 1951, c’est son beau-frère, Pierre Jeanneret, qui est resté quinze ans sur place pour suivre les travaux avec une vingtaine d’architectes indiens. Ils ont été formés à l’architecture brutaliste en béton. Parmi eux, Balkrishna Doshi qui a 90 ans aujourd’hui, a reçu le prestigieux prix Pritzker en 2018. Il a écrit la préface de mon livre.
Une capitale indienne ou occidentale ?
Indienne ! Le Corbusier a respecté le système indien des castes, avec, au Nord, le complexe administratif du Capitole. En allant vers le Sud, on trouve les villas et les immeubles des ministres et des avocats puis une population de plus en plus modeste.
La ville, très verdoyante, comprend une soixantaine de secteurs d’habitation autonomes, séparés par des voies de circulation doubles ou triples. À l’époque on pensait les villes pour la voiture, pas pour les piétons.
Que pense le photographe du béton du Corbusier ?
Avec ses traces de coffrages, le béton brut pas lissé accroche bien la couleur et Le Corbusier a prévu de nombreux panneaux monochromes. Il a théorisé l’usage des couleurs et conçu un nuancier pour la ville. Les systèmes de ventilation sont aussi très graphiques : pour faire circuler l’air, certains murs « colombier » sont percés d’une multitude de mini fenêtres de 20 cm de hauteur sur 7 de largeur, d’autres sont doublés par une série de brise-soleils en béton qui forment une double façade.
Par ailleurs, Le Corbusier a coulé de nombreux symboles dans le béton, comme le Modulor, son maître étalon pour calculer des proportions parfaites, ou encore le monument de la Main ouverte.
Comment vieillit la ville ? Vos impressions sur ce voyage ?
Chandigarh fonctionne très bien, c’est une des villes les plus chères au m2 en Inde. Prévue pour 500 000 habitants, elle en comptera bientôt trois millions.
Elle grandit dans le respect du plan d’urbanisme. Les indiens se sont bien appropriés cette architecture occidentale et leurs architectes maintiennent assez bien le style historique. La ville est aujourd’hui classée au patrimoine mondial par l’Unesco. Chandigarh est à des années-lumière de l’idée qu’on se fait d’une grande ville indienne.
Les origines de Chandigarh
Après la partition de l’Inde, en 1947, le Pendjab est partagé entre l’Inde et le Pakistan. La capitale historique, Lahore, se trouve en territoire pakistanais.
Le premier ministre indien, Nehru, décide la fondation d’une nouvelle capitale. Baptisée Chandigarh : « fort de Chandi », d’après le nom d’une déesse hindoue. Le Corbusier en conçoit le plan d’urbanisme.
De 1950 à 1965, son cousin Pierre Jeanneret et un couple d’architectes britanniques spécialistes des pays chauds, Maxwell Fry et Jane Drew veilleront sur l’immense chantier solennellement inauguré le 7 octobre 1953 par le président de l’Union indienne.