Du stade Lescure au stade Chaban-Delmas, une histoire mouvementée
C’est en 1923 qu’un parc des sports est construit à Bordeaux, aux portes de la ville, sur un terrain de la propriété Lescure. Initialement dédié aux courses cyclistes, il est acheté en 1932 par la ville de Bordeaux, qui souhaite le remplacer par un nouveau stade dont elle confie la conception aux architectes Raoul Jourde et Jacques d’Welles.
Visionnaires, les deux hommes, avant de se brouiller, vont exploiter toutes les capacités du béton pour édifier le premier stade au monde, entièrement couvert, sans pilier dans les tribunes.
Plusieurs fois modifié, leur projet va devenir le plus beau stade français de style International qui préfigure l’architecture des années 1940.
Inauguré en 1938, il sera le premier stade couvert entièrement en béton. Rénové une première fois en 1986, puis en 1998 pour la Coupe du monde de football, le stade Lescure est renommé « Chaban-Delmas » en 2001, en hommage à l’ancien maire de Bordeaux.
Sauver un joyau architectural
Le lieu a été le théâtre des exploits du mythique club de football des Girondins. Pourtant, en 2012, il est considéré comme « totalement obsolète ».
Malgré son label « Architecture contemporaine remarquable du XXe siècle » obtenu en 2007, un projet envisage d’aménager la structure du stade, pour intégrer 350 logements dans la tribune de face et 5 000 m² de commerces dans le virage nord. L’idée est heureusement abandonnée en 2016 devant l’opposition des riverains, mais il faut attendre 2021 pour que la municipalité décide de rénover le vieux complexe sportif : « Nous avons mis dans nos priorités de le rénover. On va le sauver, c’est un joyau architectural de l’urbanisme des années 1930. »
Depuis octobre 2022, le stade est inscrit au titre des Monuments historiques. Une consécration légitime pour le seul des grands stades de la période hygiéniste de l’entre-deux-guerres qui ait conservé son aspect d’origine.
Fins voûtains de béton
Raoul Jourde et Jacques d’Welles vont exploiter au maximum les possibilités du béton armé, qu’ils veulent laisser brut de décoffrage. Ainsi, il sera coulé dans des coffrages pour lui donner des formes audacieuses. Le béton va ainsi leur permettre de construire des tribunes en double porte-à-faux entièrement recouvertes de fins voûtains de béton en double cintrage, sans aucun pilier gênant la visibilité du public.
Avec l’ingénieur italien Egidio Dabbeni, les architectes calculent la portée et la courbure des voûtains, réduisent leur largeur et conçoivent des cabines suspendues qui assureront la liaison entre les tribunes hautes et les tribunes basses.
L’apparat n’est pas oublié : un portail officiel est édifié au bout de l’avenue Maurice-Martin et, boulevard du Maréchal-Leclerc, ce sont un arc monumental et une cour d’honneur bordée de vases décorés par René Buthaud.
Un modèle de l’architecture sportive des années 1930
La Cité de l’architecture et du patrimoine a pris le stade Chaban-Delmas pour modèle des grands équipements sportifs de la période 1920-40 et de cette architecture sportive « tout béton ». Hélas, beaucoup d’entre eux ont disparu.
Parmi les rares rescapés, on distingue le stade de Gerland à Lyon, signé de l’architecte Tony Garnier, et, dans le Nord, le complexe sportif de Bruay-en-Artois, dû à Paul Hanote. Témoin de son époque, le stade bordelais a fait beaucoup d’émules. Par exemple, le Parc des Princes actuel, conçu par Roger Taillibert et inauguré en 1972, reprend l’emploi des voûtains concaves.
Quatre-vingt-quatre ans après son inauguration, le stade Chaban-Delmas est quasi intact. Ses installations sportives accueillent scolaires et sportifs amateurs, tandis que les rugbymen de l’Union Bordeaux Bègles font vibrer les tribunes.
Bybéton remercie le photographe Alain De Cal qui a permis d’illustrer cet article.
À découvrir sur son site, une très riche iconographie.