Il a fallu attendre 1967 pour découvrir la première exposition consacrée à Picasso sculpteur, à la Tate Gallery de Londres. Pourtant, pionnier du cubisme, Pablo Picasso a beaucoup travaillé en trois dimensions. Il ne se fixait aucune limite, mixant l’osier avec le papier et le métal, pliant les feuilles de papier comme les plaques de tôle, modelant la terre ou le plâtre, gravant le bois et la pierre, soudant, assemblant ou collant. Toujours en quête de nouveaux matériaux, Pablo Picasso insufflait une nouvelle vie à tout ce qui l’entourait. C’est ainsi qu’il fut l’un des premiers artistes à utiliser le béton dans sa sculpture.
Découvrir le béton avec Le Corbusier
L’un des déclencheurs de l’utilisation du béton par Picasso est sans doute une visite du chantier de la Cité radieuse avec Le Corbusier, en 1949. Il y découvre les coffrages, ces moules immenses dans lesquels est coulé le matériau, « comme le bronze d’une gigantesque fusion ». Picasso est fasciné, séduit par l’esthétique du béton brut, sa malléabilité et le principe de l’empreinte dans la matière qui entre en résonance avec sa propre pratique artistique. Le peintre et l’architecte feront tous deux l’éloge de la « malfaçon », ces surprises nées du coulage du béton. En 1952, Picasso retournera sur le chantier marseillais, presque achevé.
Voir plus grand avec le béton…
Mais il faudra attendre cinq ans de plus pour que l’artiste trouve, en 1957, l’usage parfait du béton. L’Europe et la France des années 1960, en pleine modernisation, se couvrent de grands ensembles. Les artistes doivent concevoir des sculptures monumentales à l’échelle de ces villes contemporaines aux larges avenues bordées de barres d’immeubles.
L’artiste norvégien Carl Nesjar propose à Picasso de transposer ses œuvres sur un béton mural, et par là-même de les agrandir, d’après un tout nouveau procédé, le « bétogravure » ou « béton soufflé » : après son décoffrage, le béton est sablé en surface à l’aide d’un compresseur à air, afin de rendre visibles certains agrégats et ainsi de révéler le motif souhaité.
Picasso maître d’œuvre
Picasso n’intervient pas sur le terrain, mais fournit les plans, conçoit les maquettes et donne toutes les indications techniques à Carl Nesjar, qui les traduit en bétogravure. Le Maître supervise toutes les étapes de la réalisation. Plus de vingt projets sont ainsi exécutés en Europe et aux États-Unis. Parmi eux, Déjeuner sur l’herbe (1965), un groupe de quatre sculptures installées dans le parc du Musée d’Art Moderne de Stockholm en Suède, ou la frise du Collège des architectes de Catalogne sur la place Nova, à Barcelone. Le Buste de Sylvette (1968), à Manhattan, est une commande de l’architecte Pei, qui orne aujourd’hui les jardins situés aux pieds des Silver Towers. Un exercice de virtuosité en béton armé précontraint : il a fallu gérer l’équilibre des lames de béton armé soumises à des vents violents ; la stabilité de l’œuvre est assurée par une base solidaire avec des piliers souterrains et des câbles qui traversent les voiles de béton.
Le sauvetage des gravures sur béton d’Oslo
Quant au quartier des ministères d’Oslo, Regjeringskvartalet, il abritait cinq œuvres murales de Picasso : La Plage, La Mouette, Le Satyre et Le Faune, et deux versions de Pêcheurs. En 2011, l’attentat à la bombe commis par Anders Breivik a gravement endommagé les deux bâtiments accueillant les Pêcheurs et La Mouette. Devant la levée de boucliers provoquée par leur éventuelle destruction, il a été décidé d’extraire les œuvres des bâtiments et de les enchâsser dans de grandes structures métalliques. L’opération a été menée en 2020. Les fresques, pesant respectivement 250 et 60 tonnes, ont été lentement transférées – à moins de 1 km/h – dans un lieu de stockage.
Une prouesse de plus, même posthume, pour les œuvres de Picasso, et une preuve supplémentaire de la fusion entre l’architecture et la sculpture pendant les années 1950 et 1960.