Vous êtes plasticienne. D’où vient votre fascination pour cette matière grise ?
Marie-Françoise Rouy : J’ai fait une importante partie de ma carrière dans la communication. Mais c’est une série de rencontres et de hasards qui m’ont amenés vers mon activité actuelle. D’abord la rencontre de Claude de Soria : son travail du béton est extraordinaire et cette artiste a sans le savoir été l’élément déclenchant de mon travail sur le béton.
Mon amitié avec le grand marchand d’art Paul Haïm m’a aussi permis d’affûter mon œil. Et surtout François Dalle [l’ancien PDG de l’Oréal] m’a aidée à franchir le pas, il m’a encouragée à poursuivre et à m’investir dans cette nouvelle voie.
Il y a toujours un concours de circonstances, un moment où la chimie s’opère, et puis comme ça un jour on se retrouve à malaxer le béton : le plus souvent du ciment fondu. J’ai appris en multipliant les expériences, en questionnant les professionnels… et aussi en osant aller contre la logique du matériau. Il ne faut pas avoir peur d’innover.
L’incroyable capacité métamorphique de ce surprenant matériau, étrangement capable de sensualité, justifie bien que l’on s’acharne à en découvrir les mystères… Tenter de l’utiliser comme support pour la photographie argentique n’était donc qu’une étape supplémentaire de mon dialogue avec le béton, commencé en 2003.
Vous réalisez des tirages argentiques sur béton. C’est inédit ?
Marie-Françoise Rouy : Keiichi Tahara, “le maître de la lumière” a été une rencontre fondamentale à cet égard. Cet artiste japonais avait déjà réalisé des tirages photographiques sur des matériaux autres que le papier… la pierre notamment. J’aimais la photographie, j’étais tombée amoureuse du béton, j’ai donc essayé de faire cohabiter les deux. Cela n’a pas été simple !
Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Marie-Françoise Rouy : Cela consiste tout simplement à rendre chimiquement le béton “photosensible”. C’est un procédé que nous avons mis au point. Nous travaillons en chambre noire et partons d’un négatif noir et blanc.
Le tirage argentique permet une extraordinaire subtilité de rendu d’image, un contraste entre les flous et les plans nets, un piqué, une infinie variété de la gamme des gris qui n’a rien à voir avec le procédé d’impression par fraisage numérique ou encore celui de désactivation du béton qui donnent seulement l’illusion d’une photo.
Quelles sont les applications possibles de cette technique et quelles sont ses limites ?
Marie-Françoise Rouy : Avec Christine Branca, qui m’a récemment rejointe et avec laquelle je travaille maintenant à 4 mains, nous commençons à l’utiliser en architecture intérieure. La seule contrainte est physique. Il faut pouvoir manipuler les dalles de béton en chambre noire et donc nous sommes limités par le poids.
Avec l’apparition des BFUP, la chose tend à devenir plus aisée mais néanmoins nous nous limitons à des dalles de 60 à 80 cm au carré.
Ceci étant, il est tout à fait possible de composer un très grand mur avec une seule photo, selon le principe de la mosaïque. Il suffit de juxtaposer les dalles de béton photographiées, soit en les scellant sur un mur existant, soit par un système d’agrafage.
Une réponse artistique à la quête de nouveauté en matière de parement ?
Marie-Françoise Rouy : En tout cas, la preuve renouvelée que l’association de l’art et du béton n’est aucunement contre nature !