« Le premier sac de ciment que j’ai rencontré dans mon existence a été celui que le maçon a laissé dans la cour. C’était ce merveilleux ciment bleuté qui contenait des cendres volcaniques ».
Quand la sculptrice Claude de Soria découvre le ciment, c’est pour elle une révélation. Après le dessin, la peinture et la terre, l’artiste est au bout d’un cycle.
Elle tâtonne, expérimente, très à l’écoute de ce nouveau médium. « Il est en train de me crier qu’il veut rester à plat, laissons-le à plat … » Ainsi naissent ses Lames et Contre lames effilées comme des silex, ses disques de ciment et leur empreinte sur rhodoïd, toile ou papier –, les Boules, les Plis plats et la série des Ouvertures.
L’œuvre de Claude de Soria tient autant de l’acte volontaire de création que de l’accueil de l’aléatoire et du fortuit. « C’est une surprise permanente pour moi de voir, quand je déballe mes sculptures, les résultats que je n’ai pas prévus et qui sont extraordinaires. » Émue par le jeu d’ombre et de lumière du pli inattendu, elle guette la réaction du ciment sur la plaque de verre ou dans le rhodoïd. Une vie intense anime pour elle les surfaces accidentées « comme le ciel étoilé ou le fond des mers ».
Sa fille, Pascale Bernheim, évoque la femme, l’artiste et son œuvre.
Quel artiste était votre mère ?
Pascale Bernheim : C’était une femme modeste, très sensible avec beaucoup de personnalité. Absolument sûre de ce qu’elle aimait, elle en parlait avec conviction. Très ouverte au travail des autres, elle était sévère avec elle-même. Elle n’a jamais profité du statut de mon père, grand collectionneur d’art et premier président de la Fondation Lambert à Avignon. Ainsi, ses premières œuvres exposées à la Fondation, l’ont été à titre posthume il y a deux ans.
Quel était son univers, ses sources d’inspiration ?
Pascale Bernheim : Elle ramassait des pierres, des galets, s’entourait de souvenirs de voyage, aimait les nervures des feuilles mortes, l’ondulation des tiges. Dans son atelier, je me souviens d’un genou du Moïse de Michel Ange, d’un carton de vernissage de Simon Hantaï. De son passage dans les ateliers de Montparnasse, elle avait retenu essentiellement l’enseignement de Fernand Léger, dont la bonhommie la mettait en confiance. C’est Léger qui l’a mise sur la voie de la sculpture.
Son rapport avec la matière « ciment » ?
Pascale Bernheim : Quand elle a rencontré le ciment, ma mère a trouvé sa voie. Tout son travail précédent l’amenait à ça. Elle aimait la qualité du ciment, chaque poudre apportait une teinte, une couleur différente, en fonction du sable et de la réaction à l’air. Son état d’esprit ? Intervenir le moins possible, donner le plus de liberté possible à la matière pour qu’elle s’exprime. Un mode de travail très empirique et autodidacte mais d’une grande exigence. Dans ses carnets, elle indique les recettes : « 1/3 de sable, 1/3 de poudre, ½ verre d’eau. Je l’ai démoulé, retourné. Raté, je l’ai détruit… » Aux Lames, Contre-lames et Boules, très aimées du public, elle préférait la rigueur moins décorative des Plis.
Claude de Soria aujourd’hui et demain ?
Pascale Bernheim : Une monographie, publiée aux éditions du Regard, contient sur DVD un long entretien filmé de ma mère réalisé par Michelle Porte et produit par le Centre Georges Pompidou. Entièrement réalisé dans son atelier de Montparnasse, qui était le centre de sa vie, ma mère y présente son travail en des termes simples, épurés comme son œuvre, mais soigneusement choisis. Le fonds de dotation Claude de Soria a été créé pour sauvegarder l’œuvre de ma mère. L’atelier, en cours de rénovation, sera tout à fois lieu de présentation et de stockage de son œuvre. La fin du chantier est prévue à l’automne 2021.