Quels ont été vos premiers pas dans l’art béton ?
Vincent Ganivet : En sortant des Beaux-Arts, en 2001, un stock de blocs béton abandonnés m’a permis de combiner ma passion pour l’art et la maçonnerie. En 2010, avec une quarantaine d’artistes émergents, j’ai participé à l’exposition Dynastie au Palais de Tokyo et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. C’est là que le galeriste Yvon Lambert a repéré mes “Catenaires” en blocs béton et a proposé de m’exposer.
Pourquoi le béton ?
V. G. : J’aime le béton brut, l’univers du BTP. Mes arches sont réalisées en blocs béton bruts et je cultive les contrastes : la mise en œuvre raffinée d’un matériau frustre et rugueux, l’équilibre entre poids du béton et légèreté des courbes aériennes. Mon travail est une tension poétique entre la modernité du béton et l’archaïsme de la forme.
Concevez-vous des œuvres d’art en béton éphémères ou pérennes ?
V. G. : Mes œuvres d’art en béton sont conçues comme des châteaux de cartes, des jeux de construction. Les blocs béton sont empilés jusqu’à 8 mètres de hauteur parfois. Une œuvre de 6 m pèse 5 tonnes et nécessite 350 blocs. Les assemblages tiennent par un jeu de cales, les arrondis par des sangles, je dois trouver le cintrage de bois parfait.
Échafaudage, nacelle, coffrage : chaque arche est un casse-tête qui génère de nouvelles questions et de nouvelles pratiques. Comme pour les clefs de voûte médiévales, le risque d’effondrement est omniprésent, ce qui fait de la minute décisive du décintrage un véritable feu d’artifice d’émotions.
Comment vos pratiques ont-elles évolué ?
V. G. : Au début, je travaillais avec la “chaînette”* utilisée par Gaudi pour la Sagrada Familia, un moyen infaillible pour calculer l’axe d’un arc.
Aujourd’hui je trace les plans avec un logiciel dédié, et mon atelier est équipé d’une fraiseuse numérique réalisée sur mesure. J’ai conçu une CNC (NDLR : machine à commande numérique par calculateur) pour mouler des pièces de béton.
Ma série “Contremesure”, une boule de béton de 1,5 m de diamètre coulée sur une plage d’Anglet, a été la mire de cette machine. De plus en plus je travaille avec des ingénieurs de bureaux d’études ou avec des architectes des monuments historiques.
Concevez-vous des œuvres éphémères ou pérennes ?
V. G. : Mes œuvres en ciment sont éphémères. Les expositions muséales sont pour moi des laboratoires où je teste des formes. Je filme les montages et souvent les destructions.
Pour les commandes publiques et les particuliers, je réalise des œuvres d’art en béton pérennes ; elles sont moulées en béton gris ou coloré et scellées, comme la sculpture installée dans le campus de l’INSA à Lyon.
Des infidélités au béton ?
V. G. : Début novembre, j’ai construit une arche en polystyrène à Beaubourg. C’est le public qui a servi de cintrage. Récemment la ville du Havre m’a commandé une œuvre gigantesque réalisée avec les containers du port “Catène”. À l’origine prévue pour les festivités célébrant les 500 ans de la ville, elle va finalement rester en place.
Les réactions du public ?
V. G. : Chacun a son point de vue : les férus d’architecture analysent les structures, la pureté des lignes ; les esthètes, le rapport avec l’histoire de l’art. Le béton est une matière familière, chacun y va de ses conseils. Tous se tordent le cou et sont fascinés par les dimensions. Une question revient toujours : « Mais pourquoi vous ne les peignez pas ? »
* Le principe de la chaînette est simple : la forme que prend une chaîne ou une corde lorsqu’on la laisse pendre en la tenant à ses deux extrémités définit un arc caténaire. Inversé, cet arc tient tout seul et n’a pas besoin de contreforts pour compenser une quelconque poussée latérale.