Vous avez pratiqué le moulage avant la sculpture ?
Mathias Souverbie : Après l’école, je suis entré pour un stage à la fonderie Pierre Revol, et j’y suis resté dix ans à faire du moulage d’art en plâtre. Cette pratique m’a donné l’une des clés du monde de l’art.
Elle m’a appris à voir une pièce et à raisonner par le volume et le non-volume. Une approche de l’œuvre par le monde du vide, du négatif et de l’empreinte. Une double lecture, en plein et en creux, qui offre une vision complète du réel et affine la relation à l’espace.
Pourquoi le béton ?
M. S. : Quand j’ai commencé à sculpter, j’ai recherché un matériau qui soit poreux à la lumière et qui ait les qualités plastiques du plâtre, la solidité en plus. J’ai retrouvé ces qualités dans le béton. Il prend bien la lumière, a une profondeur et beaucoup de qualités physiques quand on sait le dompter.
Cela m’a pris quelques années pour trouver le bon ciment, fondu avec de la pouzzolane, le bon sable, la bonne eau, sans chlore, et même le bon air. Il m’a fallu apprendre à composer avec l’hygrométrie et la chaleur… Un travail d’alchimiste.
Mon béton est devenu une entité à part entière : le Galstel, un nom composé de la racine Gal, qui veut dire « pierre », et du suffixe Stel : « l’étoile ».
Quelles sont les caractéristiques de vos œuvres ?
M. S. : J’utilise mon Galstel en couches très minces, et les sculptures sont creuses. Je détourne l’usage des « chapes » de moule. Au lieu de servir à couler une pièce, elles constituent l’exosquelette d’une sculpture intérieure invisible, une carapace de béton. Certaines sculptures mesurent quatre mètres de hauteur. Elles sont parcourues de fines fissures, qui sont autant de plans de joints qui invitent au démontage, à la recombinaison.
En fait, mes statues sont des moules à l’envers : tout ce qui est dedans est dehors, et vice-versa. Je ne dessine pas mes œuvres, elles sont maçonnées strate par strate, jour après jour. J’accompagne le mouvement sans préméditation.
Elles accueillent tous les accidents, les trous ronds ou carrés pour les saisir, parfois des annotations. L’équilibre est une dimension à part entière. Je travaille beaucoup sur le rapport entre l’espace et la matière.
Ma sculpture Le module pèse deux tonnes, avec un porte-à-faux de cinq mètres, et tient sur une pointe.
Et vos sources d’inspirations ?
M. S. : J’ai baigné dans un milieu familial artistique ; mon arrière-grand-père, Jean Souverbie, était un peintre renommé, proche de Picasso. Je lui rends hommage avec ma statue La femme au paysage, qui met en volume l’une de ses toiles. Je ne recherche pas le « joli », mais « le plus vrai, le plus solide ».
Ma démarche est identique à celle des anciens Mayas, qui ajustaient parfaitement les pierres de leurs murs, sans aucun joint ; ou encore à celle des ingénieurs qui ont conçu les anciennes machines industrielles, les vieux trains – massifs, fonctionnels, indestructibles et pratiques. Je ne suis pas dans un processus d’esthétisme ou d’autosatisfaction. Pour moi, une pièce est juste quand elle n’en fait pas trop !