Comment l’idée de ce travail sur ciment est-elle née ?
Aurélien Grudzien : Je viens de l’univers du bâtiment, où je réalisais des sols en ciment et des fresques murales. Je peins depuis toujours, mais aucun medium ne me donnait satisfaction. Le ciment, avec ses aspérités et ses nuances m’a permis d’exprimer mon art. J’exploite tous ses accidents de parcours.
Mes premières œuvres, en 2007, étaient figuratives, c’étaient des vues de New York. Peu à peu, les buildings ont baissé dans le cadre, libérant de plus en plus le ciel, qui a fini par envahir tout l’espace… Mes débuts dans l’abstraction !
Avez-vous été influencé par les maîtres laqueurs orientaux ?
A. G. : Mon travail prend vraiment sa source dans mon apprentissage de la matière. Même si on le compare parfois avec les œuvres du peintre d’origine chinoise Zao Wou-Ki, c’est Pierre Soulages qui m’a donné envie de peindre. J’ai d’abord aimé sa peinture, puis l’homme, et encore plus l’œuvre.
Tant de choses peuvent arriver avec du blanc et du noir ! Toute la force du ciment se révèle à travers ces couleurs. Une autre influence est sans doute ma pratique de la plongée sous-marine, une expérience de zénitude. On retrouve sur certains tableaux les traînées abyssales des fonds marins.
Avez-vous inventé votre propre technique ?
A. G. : Du montage du châssis jusqu’au vernis, la technique est très importante dans mon travail. Elle est détournée du bâtiment. J’utilise des châssis en bois sur lesquels j’applique une base pour que mon mélange de ciment et d’agrégat puisse accrocher.
Selon les œuvres, je travaille la matière fraîche ou sèche. La pigmentation représente le motif sur lequel je coule une couche de résine de 4 à 5 mm d’épaisseur. Elle fait apparaître les couleurs, toutes les nuances, et les fixe. Une fois sèche, je ponce toute la surface et j’applique le vernis. Il avive encore le contraste du béton avec les couleurs, et empêche tout jaunissement. La taille des tableaux est variable car elle a une incidence sur l’émotion. Ils peuvent être très grands, 3 x 1,50 m, ou tout petits, 30 x 40 cm.
Avez-vous des contraintes d’atelier spécifiques ?
A. G. : Oui, le degré d’hygrométrie et la température sont essentiels. Chacune des étapes doit respecter un protocole, presque un rituel. Il y a une zone spécifique pour la réalisation des châssis ; une zone sans poussière et chauffée pour le travail de la laque ; les vernis s’appliquent en cabine et le stockage occupe le dernier espace.
Quel rapport entretenez-vous avec vos œuvres ?
A. G. : Je n’ai aucun lien affectif avec mes tableaux. L’acte de créer est primordial pour moi. C’est toujours la prochaine œuvre qui compte. Avec le temps et le recul, je vais à l’essentiel. Il est toujours difficile de savoir quand une œuvre est achevée.
Aujourd’hui je travaille de plus en plus dans l’épure. Un simple trait peut créer l’émotion, mais il faut comprendre pourquoi on le pose et le faire ressentir au spectateur.
Un dialogue à trois s’instaure entre le peintre, l’œuvre et le public. Profondeur, brillance, il y a beaucoup de décalage entre une œuvre et sa reproduction photo. Il est donc important d’exposer et de participer aux salons d’art. À la fin de l’été, j’exposerai avec Mathias Souverbie dans une chapelle de la Drôme (voir encadré).