Paul Chemetov, qu’est-ce qu’un architecte ?
Un architecte transforme les choses, donc les hommes, et d’une certaine façon, le monde. C’est d’abord un métier avant que d’être un art.
Prenons ce bâtiment dans lequel nous sommes. Au fond, on pourrait dire « ce ne sont que des pavés de verre, ce ne sont que des poutrelles industrielles galvanisées, ce ne sont que des panneaux de bois, ce ne sont que des stores… »
Mais, ça ne suffit pas pour définir comment assembler toutes ces choses. Comment faire une forme, un bâti, une protection par l’assemblage de choses toutes banales. C’est cette espèce de position très singulière dans laquelle vous dessinez un trait et ce trait se construit.
Qui au monde a ce pouvoir quasi divin ? Dessiner un trait et en faire un mur. Et à la fois, ce sont des choses toutes bêtes : des budgets, des questions de stabilité, des questions de tenue à la pluie, au vent. Et aussi une question assez essentielle de notre travail : le temps. Vous ne faites pas un bâtiment pour un jour.
Qu’est-ce qui est au cœur de votre vision de l’architecture ?
Généralement vous travaillez pour d’autres que vous. Toutes ces petites attentions de volumes, de couleurs, de bruit quand on marche, de recoins, d’émotions : c’est tout ça un bâtiment.
Ce n’est pas seulement un programme : « tant de mètres carrés, plancher résistant à 250 kg… » Pour quelqu’un qui travaille ou vit dans un immeuble, s’il est en capacité d’éprouver des émotions, ce bâtiment est en quelque sorte formateur de lui-même, de sa relation au monde et pas seulement une boîte « tant entre murs, tant sous plafond » : ça ne définit rien ça. Nous ne sommes pas des animaux de laboratoire.
Qui est votre « père spirituel » ?
Je dirais tous ceux qui m’ont précédé d’une certaine façon. Après, j’ai eu d’autres pères spirituels, ceux qui m’ont formé.
Quelqu’un comme Lafaille, qui a été mon professeur, m’a appris tout autant de choses – peut-être en deux, trois phrases –, que j’applique ici. Quand il me disait : « Le croisement de poutres forme un nœud et forme un quasi appui. »
Quand il me parlait non pas de l’économie du bâtiment, mais de l’économétrie.
L’économie, c’est d’être pingre envers tout. L’économétrie, c’est de savoir où il faut dépenser, où ce n’est pas la peine de dépenser. Maintenant, de façon plus proche, sur les gens de ma génération, des gens aussi différents que Perret ou Le Corbusier nous ont tous marqués.
Quel est votre Panthéon des bâtiments en béton ? Pourriez-vous n’en retenir qu’un seul et pourquoi ?
Bizarrement, le panthéon de la construction en béton, c’est le Panthéon de Rome.
Parce que, ce qu’il y a de curieux quand on analyse ce bâtiment de vingt siècles à peu près, qui est toujours debout, ce sont les bétons d’abord, par l’adduction de pouzzolane, plutôt que de sable. Cela représente un progrès écologique si l’on veut parler de nos jours.
Mais je vais prendre Le Havre, une ville tout à fait intéressante. Quand on voit le volcan de Niemeyer au Havre et Perret à côté : ces deux choses, absolument opposées sur le plan plastique, montrent l’étendue des registres que l’on peut atteindre avec ce matériau.
Quelle place pour le béton dans l’architecture des vingt prochaines années ?
Celle que les architectes et les ingénieurs sauront lui donner. Celle que les chimistes de l’industrie du béton sauront aussi trouver, par rapport à ces formes presque anciennes. Quand on voit les bétons autonettoyants par exemple, qui commencent à se généraliser.
On a déjà trouvé des bétons autoplacants… On n’arrête pas d’expérimenter de nouvelles choses. Je crois que le béton – certains pensent qu’il est fini, qu’il ne peut qu’être remplacé par d’autres matériaux – va commencer maintenant sa vie « non archaïque ».
Le béton qu’on a connu, les bétons qu’on a connus jusqu’à présent étaient archaïque. Non, on est au début de l’histoire du béton.
Propos recueillis le 28/01/2023, lors d’un entretien sur les Trophées Bétons Pro
Biographie
Paul Chemetov naît à Paris en 1928. Il étudie d’architecture à l’École nationale supérieure des beaux-arts de 1946 à 1959 dans les ateliers Lurçat, Vivien, Lagneau, Badovici et Gillet.
Diplômé, il rejoint en 1961 l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA) en 1961. Il y restera plus de vingt ans, jusqu’en 1985. Grand Prix national d’architecture en 1980, il multiplie les fonctions : membre du comité directeur du Plan Construction, puis vice-président de 1982 à 1987, co-président du comité scientifique du Grand Paris en 2000. Il a été responsable du secteur développement de la Stratégie nationale pour l’architecture (SNA).
Grand humaniste, Paul Chemetov a toujours veillé à la qualité et à la durabilité de ses bâtiments. Entre autres réalisations, on lui doit les équipements publics souterrains du quartier des Halles, le ministère des Finances et la restauration de la Grande galerie du Museum d’histoire naturelle.
Aujourd’hui, l’AUA Paul Chemetov regroupe dans le 13e arrondissement jeunes architectes et urbanistes. Auprès de Paul Chemetov, ces derniers restructurent, réhabilitent et conçoivent des plans d’aménagement pour des villes (Montpellier, Amiens, Ivry, etc.), des hôpitaux, des médiathèques ou des logements.
Trophée béton pro : le béton, matériau d’avenir
Explications de Paul Chemetov, architecte et président d’honneur de Bétocib, Étienne Tricaud, architecte-ingénieur et président de Bétocib, et Claire Barbou, architecte et secrétaire générale de Bétocib.
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Retrouvez notre série “Paroles d’expert”
• Marie Adilon, la liberté du béton
• Paul Chemetov : le béton va commencer sa vie “non archaïque”
• Dominique Coulon : la poésie des lieux et de l’espace
• Philippe Prost : faire dialoguer passé, présent et futur
• Étienne Tricaud : l’utopie, le topos et le béton