Le numéro 17 du boulevard Morland, dans le IVe arrondissement de Paris, vient d’être le théâtre d’une rénovation remarquable et écoresponsable, dans le cadre de Réinventer Paris I, le premier appel à projets urbains innovants de la Ville de Paris. À cette adresse, de 1957 à 1964, les architectes Albert Laprade, Pierre-Victor Fournier et René Fontaine avaient construit l’immeuble Morland, un bâtiment moderniste de 16 étages au plan en H, présentant une ossature béton revêtue de pierre. Un symbole de l’avant-garde, au cœur d’un quartier de tradition haussmannienne.
En ce lieu initialement occupé par la préfecture de la Seine, la Ville de Paris avait installé ses services administratifs en 2011. C’est aujourd’hui un site dédié à la mixité sociale et culturelle qu’ont imaginé les deux agences David Chipperfield Architects et CALQ, ainsi que le paysagiste Michel Desvigne. Un lieu rebaptisé « Morland Mixité Capitale ».
Un mot d’ordre, la pluralité
De fait, en termes de mixité, ce site coche bien des cases ! Sur ses 43 620 m2, pas moins de onze programmes sont implantés et, pour François Thevenet, le directeur du chantier : « onze programmes, ce sont onze chantiers ! » et autant d’équipes spécialisées pour construire une auberge de jeunesse, un hôtel cinq étoiles, une crèche, 15 000 m2 de logements sociaux, intermédiaires ou en accession, 9 000 m2 de bureaux, un centre de fitness avec piscine, un jardin de 1 000 m2 doté de 200 arbres, 2 800 m2 de terrasses végétalisées dédiées à l’agriculture urbaine, une halle maraîchère ainsi que des commerces, bar et restaurants.
L’art n’est pas en reste, avec une galerie et, aux 15e et 16e étages, deux installations conçues par le Studio Other Spaces, d’Olafur Eliasson et Sebastian Behmann, qui utilisent miroirs et kaléidoscopes pour une exposition permanente : The Seeing City, un jeu de réflexion et de fragmentation de la ville et du ciel.
Des fondations complexes
Les bâtiments occupent l’emplacement de l’île Louviers, une ancienne île fluviale, rattachée à la rive droite par le comblement d’un bras de la Seine en 1843.
Dans ce contexte, il a fallu appliquer les règles du plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) et faire appel à des spécialistes des fondations complexes lors la construction des parois moulées pour les trois niveaux en sous-sol
Autre difficulté, le pontage qui enjambe la ligne 7 du métro dont le tunnel passe sous le site pour traverser la Seine.
Une restructuration d’envergure
Dans l’immeuble de grande hauteur initial (50 m), les escaliers et des ascenseurs ont été démolis puis reconstruits pour optimiser les espaces de circulation.
Sur ses façades, marquées par une trame porteuse de poteaux verticaux en béton, chaque pierre a été remplacée pour une restauration à l’identique. 700 balcons préfabriqués en béton ont été ajoutés.
Deux bâtiments neufs ont été construits, le long du boulevard Morland et du côté du quai Henri IV. Une allée publique traverse le complexe, reliant le boulevard Morland à la Seine.
38 voûtes en béton architectonique
Les nouveaux édifices ont été surélevés et posés sur une série d’arcades inspirées de celles du Palais Royal : 38 voûtes en béton architectonique ont été créées pour cela.
Côté Morland, elles créent un cloître, et côté Henri IV, un espace couvert hébergeant la halle maraîchère.
De forme arrondie, ces éléments contrastent volontairement avec la rectitude du bâtiment de Laprade et avec les murs-rideaux à trame carrée des deux nouveaux immeubles. Un geste architectural fort.
Pour Anne Savard, de l’agence CALQ, « les voûtes conçues par David Chipperfield sont authentiques, sans truchement, et sont faites d’une matière brute et visible : le béton ».
Leur conception a requis de multiples recherches : essais de formulation et coulage béton avec différentes peaux coffrantes, travaux d’ingénierie sur le matériel utile au coffrage, prototypes à l’échelle 1 :1, déploiement d’un atelier de ferraillage in situ…
Chaque voûte est constituée d’un pied de section carrée de 90 cm à la base, qui s’évase en corolle pour atteindre 9 m de diamètre, à 6 m de hauteur. Avant de couler le béton, le ferraillage a été inséré dans quatre éléments de coffrage mobiles assemblés.
Ensuite, il a fallu compter une journée de coulage en continu sans reprise possible par voûte.
Un symbole de la ville durable
Chaque étape du projet a répondu à de fortes exigences en termes d’écoresponsabilité et de techniques de construction. Des dispositifs techniques innovants, le recyclage et la valorisation locale des bio-déchets limitent la consommation en énergie et en eau. Une sobriété qui devrait faire de Morland Mixité Capitale un modèle.
Une nudge unit dédiée a accompagné chaque phase du projet pour informer, suggérer et encourager les bonnes pratiques comme la mutualisation des équipements : la piscine par exemple, qui sera utilisée à la fois par ses adhérents, les clients de l’hôtel, ceux de l’auberge de jeunesse et les élèves des écoles voisines.
Très bientôt, 5 000 à 7 000 personnes se croiseront chaque jour dans l’ancienne Cité administrative de Paris. Le vaste ensemble-quartier va offrir au public de multiples lieux de vie et une nouvelle voie piétonne entre le quai Henry IV et le boulevard Morland. En bonus, un rooftop de rêve avec vue imprenable sur Paris !
L’architecte britannique David Chipperfield a reçu le Prix Pritzker, plus haute distinction du monde de l’architecture.
Auteur de plus d’une centaine de bâtiments, David Chipperfield est connu pour une architecture souvent qualifiée de minimaliste.
À l’occasion de ce prix, nous vous proposons de revoir une intervention donnée par David Chipperfield donnée à la Cité de l’architecture et du patrimoine en 2004.