Jace, quand as-tu commencé à graffer ?
Je suis arrivé à La Réunion en 1982. L’année 1987 a été une étape importante : je suis tombé en arrêt devant le livre “Subway Art” (1). Et lorsque 1989 est arrivé, je suis passé sur le terrain la bombe à la main ! Je me souviens encore de la Ravine des Cabris, pas très loin de là où j’habitais…
Et les Gouzous sont nés ?
Dans les années 1980, puis 1990, je me documentais, je me plongeais dans les BD, les graffs new-yorkais… C’est en 1992 que j’ai commencé les Gouzous, à une période où je faisais déjà pas mal de graffitis et que j’inscrivais mon nom, ici et là, dans les rues. Cela m’est vite apparu ennuyeux. J’ai donc choisi de créer un petit personnage avec lequel je pourrais m’amuser et que je mettrais en scène dans différentes situations. Mon petit bonhomme facétieux sans visage est sans frontière, tout coloré, plein d’humour, mais pas que… C’est un peu un chevalier des temps modernes.
Street artist ou graffeur ?
Voilà bientôt 30 ans que je peins dans la rue. À l’époque, on ne parlait pas de Street Art. On parlait simplement de graffitis ! C’est dans les années 2000, que l’on a cherché à mettre une étiquette sur une pratique qui se faisait en milieu urbain. Passage de la rue à la galerie d’art !
Tes œuvres recouvrent parfois du béton, comme une centrale à béton ou une pile de pont. C’est le hasard ou un matériau de prédilection ?
Le béton est dans la rue, et c’est là mon espace de création. Je passe par des commandes publiques comme privées.
Au niveau de mon travail avec Soreco-Sigemat sur l’île, à Saint-Pierre, c’est parti d’une demande de Dimitri Losfelt, directeur de l’entreprise, que je connaissais bien. J’ai aimé l’idée de décorer les silos de la centrale à béton, ainsi que les structures extérieures du site, faire du gris un ensemble coloré avec toute une histoire de… Gouzous bien sûr !
Concernant la pile d’essai au-dessus de la rivière réunionnaise Saint-Étienne, route des Tamarins, j’avais effectué une peinture sur le pont, sous-jacent, qui avait été détruit lors du cyclone. Deux ans après, j’ai pu répondre à une commande pour ce pylône et de nouveau laisser place à mon imaginaire…
Le Havre, que tu as quitté tout jeune pour vivre à la Réunion, est ta seconde patrie. Est-ce la ville d’Auguste Perret qui t’a incité à travailler sur du béton ?
J’avoue avoir été très réticent vis-à-vis du béton dans ma jeunesse, mais j’ai appris à l’apprécier. J’en ai d’ailleurs fait un support de création original, puisque souvent je reprends certaines de mes peintures, faites dans la rue sur du béton brut, que je viens imprimer sur de petits blocs. Cette “allergie” venait du fait d’avoir grandi sous un temps normand, qui ne mettait pas toujours en valeur Le Havre. J’en suis parti à 8 ans, et j’y suis revenu pour mes études.
Dans les années 1990-début 2000, la ville était “sinistrée” ; c’est dans ce contexte que je suis intervenu avec mes Gouzous. Je pense axer ma prochaine exposition au Havre sur un nouveau type de support : je viens de trouver un fournisseur, qui fabrique des plaques de béton très fines et légères en BFUP (2). Et mes Gouzous seront toujours colorés. J’aime mettre en couleur le béton.
(1) Sorti en 1984, Subway Art est la “Bible du graffiti”, qui a fait connaître au monde entier cette pratique new-yorkaise.
(2) Béton fibré à ultra-hautes performances.