Frédérick Gautier est céramiste, plasticien, vidéaste, créateur d’objets en béton -meubles, vases ou lampes –, qu’il signe FCK, d’après l’acronyme de l’unité de résistance du béton.
Cette nouvelle aventure commence pour lui par une visite de Firminy. « Je m’inspire beaucoup des bâtiments du Corbusier. L’église a été restaurée il y a une quinzaine d’années, et je n’y étais toujours pas venu. »
Dialogue avec le béton du Corbusier
Sur place, FCK loge chez l’habitant dans l’unité d’habitation conçue par Le Corbusier et construite en 1965. C’est un long parallélépipède sur pilotis de 17 étages, qui mesure 130 m de long sur 21 de large. Il respecte les règles de l’architecte : toit terrasse, longs couloirs-coursives, duplex et lieux de vie partagés.
Dans ses bagages, Frédérick Gautier emporte sa théière fétiche. « Je prends souvent mes objets avec moi quand il s’agit de béton pour les faire dialoguer avec les sites. Cette théière m’a fait connaître sur la péniche Le Corbusier. J’en ai fait des centaines d’exemplaires. Elle imite le béton ancien « moderniste », le béton banché, sa texture, le rendu, la matière, la couleur. »
FCK la photographie chez ses hôtes, posée sur la petite étagère-niche en béton que Le Corbusier installait sur tous les balcons de ses unités d’habitation.
Postée sur Instagram, la photo fait réagir quelqu’un de l’immeuble qui poste sa propre théière et écrit « Moi aussi, ma théière prend l’air sur le balcon ».
Au fil du thé…
Peu de temps après, l’association des habitants le contacte. Ces derniers lui parlent de leur site, de son incroyable mixité sociale avec des propriétaires et des locataires de tous âges et de tous milieux.
Frédérick leur propose un projet commun, pour que tous se retrouvent et recréent du lien : « Ce qui m’intéresserait, ce serait de vous connaître, de venir vivre pendant quelques jours avec vous, dans vos habitations, de voir ce que ça provoque de vivre dans un immeuble Le Corbusier et que vous me parliez du bâtiment ».
Baptisé “Au fil du thé”, le projet s’étalera sur cinq mois. La logistique et la communication seront gérées par l’association des habitants.
Et au fil des mots
Pendant une semaine, FCK se balade au milieu des habitants avec sa théière, il les photographie chez eux, dans leurs appartements.
« J’avais mis des affiches partout dans l’immeuble. Les gens m’invitaient à déjeuner, à dîner. Au bout d’une semaine, j’avais recueilli plein de mots et de phrases qui qualifiaient le bâtiment et exprimaient la fierté d’y vivre.
Sans forcément connaître Le Corbusier, ils savaient que c’était un grand architecte : “Ici, c’est un bateau, il y a tout à bord “, ou “On est obligés de se dire bonjour, on passe tous par la même porte, donc on se dit tous bonjour“, ou encore “C’est ma chance“… des choses absolument incroyables, très fortes et très poétiques. »
En studio, Julien Ribot, un ami musicien et chanteur pop connu, reprendra ces phrases et les chantera sur des sons électroniques. FCK, qui fait toujours une vidéo pour conclure une résidence ou une action, réalise un clip où les photos défilent sur cette bande son.
Un patrimoine architectural et humain
Pendant les Journées du patrimoine, les photos, tirées en noir et blanc et en grand format sur du papier d’architecte, sont collées sous le bâtiment.
FCK expose une trentaine de ses objets dans le hall de l’immeuble, ils sont aussi photographiés dans les alcôves des balcons et aujourd’hui en vente à la galerie Ceysson & Bénétière de Saint-Étienne.
Le clou de la manifestation est l’atelier géant que FCK propose aux habitants : « Le plus grand workshop que j’aie fait depuis celui qui avait été organisé par groupes de 25 personnes à Paris, au siège du parti communiste – NDLR : haut lieu de l’architecture béton dessiné par Oscar Niemeyer. À Firminy, j’ai eu 100 personnes en quatre heures qui faisaient de la céramique avec moi. »
Après ce grand moment d’échange et de partage autour d’une action commune, chacun est allé poser son objet pas encore cuit, dans l’alcôve de son balcon.
« Je reviendrai à Firminy avec les céramiques cuites. »
Cet atelier a permis à FCK de constater à quel point aujourd’hui on est totalement déconnecté de la matière et de l’artisanat.
« C’est pour moi une façon un peu militante de propulser les gens dans la matière. C’est très différent de ce que je fais au quotidien, mais c’est moteur dans mon action. J’aimerais beaucoup continuer ce projet ailleurs avec des publics différents, voir ce qu’il provoquerait à Berlin et à la Cité radieuse. »
Après Firminy, FCK ne manque pas de perspectives. En novembre, il part à Shanghai créer des objets pour une galerie du quartier français.
À Venise, il va concevoir des jerrycans en céramique pour le vin de la lagune : « Puisque dans quelques années il n’y aura plus d’essence, on mettra le vin dans les jerrycans. J’imagine un film avec des gondoliers qui transporteraient ces jerrycans et livreraient du vin dans les maisons. »
En janvier, il s’installe à Los Angeles pendant trois mois pour réaliser une collection de plats et d’objets érotiques en céramique ; parallèlement, une série de cinq lampes en béton va sortir chez Serax.