Un exemple de la symbiose architecte-ingénieur
L’ouvrage est exceptionnel. C’est en tout cas l’avis d’Héléna Striffling-Marcu, architecte chez Chatillon Architectes, en charge du projet de réhabilitation de la Grande Nef sur l’Ile des Vannes (L’Île-Saint-Denis) : « Ce bâtiment, qui, en 2007, a reçu le label Patrimoine du XXe siècle et a été inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, est une véritable prouesse architecturale. Il a été construit à une époque où l’on poussait les contraintes des matériaux, et notamment du béton, à leur maximum. C’est aussi un exemple de symbiose du travail de l’architecte et de l’ingénieur. Il n’y en a que quelques-uns dans le monde de la sorte. »
Arcs en béton et précontrainte
Bâtie par les architectes Pierre Chazanoff, Lucien Métrich et Anatole Kopp au cœur d’un complexe sportif dont elle constitue la pièce maîtresse, la Grande Nef de l’Ile des Vannes impressionne par ses dimensions (98 mètres de longueur, 51 de largeur et 26 de hauteur), mais aussi par sa structure en forme de barque inversée (surface paraboloïde hyperbolique de 3 000 m²).
« On peut croire qu’il s’agit d’une voûte en béton, alors que ce sont deux arcs précontraints avec une maille de câbles acier hyperbole au centre qui maintient leur écartement. Ces arcs sont soutenus par la tension des câbles mais aussi par des poteaux métalliques, le tout précontraint par d’énormes câbles métalliques (torons) qui passent sous la piste. C’est uniquement la forme qui maintient la structure, comme un pont soutenu. On est d’ailleurs à la limite de l’ouvrage d’art et du bâtiment », explique Héléna Striffling-Marcu.
Economie de matière
Sans qu’on puisse la relier à un style bien défini – une pincée de brutalisme, un peu de constructivisme, une influence de l’école russe –, la Grande Nef répond à une philosophie précise, celle de l’économie de matière. Il y a juste la quantité nécessaire pour que le bâtiment tienne.
Ainsi, les arches en béton sont évidées et servent de système de soufflerie, emplacement et principe dont la réhabilitation s’inspirera. Les matériaux, peu onéreux, sont représentatifs de l’époque : l’acier pour les câbles, les bacs et la maille, une tôle ondulée en polycarbonate pour la façade et du béton coulé sur place pour les arches.
Une réhabilitation qui respecte la matérialité de la structure
Malgré ses qualités, la Grande Nef a été fermée en 2014. Jamais rénovée, elle n’était plus aux normes. Un tel bâtiment ne pouvait pourtant rester portes closes alors que se profilent les Jeux olympiques de 2024. D’où la mission confiée par la Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques) à l’agence Chatillon Architectes de remettre sur pied cet édifice remarquable pour servir de centre d’entraînement aux athlètes.
« Notre mission est de le remettre aux normes thermiques, acoustiques, de sécurité incendie et d’accessibilité, ainsi qu’au niveau d’homologation régional pour les fédérations sportives, car la mairie récupérera le site après les Jeux. Le bâtiment étant protégé, nous collaborons de près avec la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles). Nous devons mener une réhabilitation en respectant au plus juste la ligne architecturale et la matérialité de la structure. Il n’y a aucun ajout, sauf une rampe et des ascenseurs pour l’accessibilité », explique l’architecte.
Le béton a fait l’objet d’un soin tout particulier.
Il en existe deux types : du coulé sur place pour les arches, et du préfabriqué pour les garde-corps extérieurs et les dallettes au sol avec un matriçage.
« Le béton n’était pas si abîmé que cela. Il y avait quelques éclats sur les arches, mais ils étaient légers. Le taux de carbonatation était également un peu élevé, mais les fers de construction n’étaient quasiment pas en surface. Le bâtiment était globalement en très bon état. Nous n’avons fait que des interventions ponctuelles. Nous nettoyons le béton et nous faisons des patchs sur les éclats en reconstituant la granulométrie, la colorimétrie, le liant et le matriçage pour s’approcher au plus près possible du matériau d’origine », indique Héléna Striffling-Marcu. Les travaux ont démarré début 2022 et devraient s’achever début 2024.