Quel est votre métier ?
Je suis designer coloriste et j’ai développé mes recherches sur le design très particulièrement dans le domaine de la couleur, appliquée à l’architecture et à l’urbanisme. De nombreux ouvrages ont été publiés sur mon travail, en France tout d’abord, et ensuite à travers le monde : au Japon où j’ai fait des études dans les années 60, et plus récemment en Chine et en Corée où j’ai beaucoup travaillé à partir de 1970.
Qui ont été vos maîtres dans cette discipline ?
À mon sens, les pionniers qui ont innové et développé des théories pédagogiques sur la couleur ont été deux artistes du Bauhaus, Josef Albers et surtout Johannes Itten dont la réflexion et la méthodologie étaient exceptionnelles. Je travaillais sur la couleur depuis 1959, mais lorsque le livre d’Itten a été publié, il a permis une meilleure compréhension de la couleur pour les arts plastiques et le design.
En quoi consiste votre théorie sur la géographie de la couleur ?
Chaque pays, région, ville ou village exprime à travers son architecture vernaculaire des thèmes chromatiques qui lui sont propres.
Brique rouge du Nord, granite de Bretagne, ocres jaunes et rouges de Provence, enduits verts, bleus ou rouges d’Alsace, ou encore tuffeaux calcaires blancs du Centre, permettent de faire le constat des couleurs particulières d’un habitat et d’en déduire les palettes et gammes des couleurs qui lui seront les mieux adaptées.
L’addition de toutes ces données chromatiques donne une dominante propre à chaque lieu. J’ai développé ces théories dans plusieurs ouvrages, parmi lesquels « Les couleurs de la France : maisons et paysages », « Les couleurs de l’Europe » et « Les couleurs du Monde : géographie de la couleur ».
Vous avez appliqué ces recherches aux constructions en béton ?
J’ai longtemps été le directeur artistique d’un fabricant industriel de peinture. Nos clients construisaient de grands ensembles. Pour leur faire comprendre que les couleurs du béton des HLM ne devaient pas être les même à Belfort, à Nantes ou à Quimper, nous avons rédigé un petit ouvrage sur les gammes propres aux lieux.
Dès l’apparition des villes nouvelles, j’ai beaucoup travaillé avec les architectes français car la couleur qui était un monde nouveau pour eux à l’échelle de l’urbanisme et de l’architecture, nécessitait des recherches spécifiques. J’ai également eu l’occasion de travailler sur des bâtiments peints et pratiqué le “supergraphisme” : une forme de muralisme, des fresques géométriques très colorées sont ainsi nées sur des équipements tels que des écoles, des gymnases ou des médiathèques. Mes projets et maquettes d’étude sont conservées dans les collections du Centre Pompidou.
Comment travailler couleurs et béton ?
Le rendu de la “peau” du bâtiment est plus valorisant quand on teint le béton dans la masse. Il est préférable alors d’utiliser des pigments minéraux qui ont une puissance chromatique suffisante car la résistance à la lumière des pigments organiques (chimiques) est plus faible. Les enduits de surface permettent des gammes chromatiques qui tiennent très bien aux ultra-violets. Peinture, texture dans le coffrage, surfaçage : le béton a divers modes d’expression de surface.
Et sur le plan international ?
La Corée m’a demandé de définir la charte des couleurs pour une ville nouvelle près de Séoul. Pour montrer à quel point les couleurs peuvent transformer la ville, ils m’ont proposé de faire la coloration d’un espace urbain complexe, avec un pont situé sous une autoroute. Un résultat spectaculaire !
La Chine a appliqué le concept de la Géographie de la couleur pour définir les chartes de couleur pour de nombreuses villes dont Canton, Hanghzow, et récemment Pékin.
En 2019, mes travaux ont fait l’objet de plusieurs communications, au congrès de l’Association Internationale de la Couleur à Buenos Aires. Un des membres de ce comité prépare un nouvel ouvrage sur mon travail.
La transmission est importante dans votre vie ?
J’ai enseigné à l’École des Arts décoratifs de Paris de 1968 à 2003. Les asiatiques ont adopté ma géographie de la couleur. Être le disciple d’un maître fait partie de la tradition confucéenne, j’ai donc une lignée de coloristes qui se revendiquent de mon enseignement !
En France, j’ai créé l’Atelier 3D Couleur qui analyse les sites et conseille les villes et les urbanistes sur l’élaboration de chartes de couleurs. Aujourd’hui, mes anciens assistants ont repris le flambeau et continuent les recherches de façon aussi actives que créatives. On n’arrête pas la couleur !