Cinquante grandes jarres de béton « pour recueillir les pleurs », cent-soixante oies affolées dans une prairie, une meute de loups qui saute le ruisseau, mais aussi des personnages par centaines, des cocons et des chrysalides… l’œuvre d’Olivier Estoppey se déploie autant dans le paysage que dans l’esprit du visiteur.
Elle raconte, dans le béton coulé ou projeté, la mine de plomb et le métal, des histoires qui font parfois un peu peur. Le sculpteur interroge la fuite du temps, la séparation ou la métamorphose.
Rencontre avec un artiste tranquille et déterminé qui combine les éléments et les matériaux pour explorer ses rêves dans une chorégraphie immobile.
Quel est votre univers ?
Olivier Estoppey : Tout ce qui m’inspire ! Mon univers est protéiforme. À la base, il y a le modelage et le dessin, je passe de l’un à l’autre. Pour moi, le dessin est une source, un vocabulaire. Il y a tout un travail de recherche à partir de documents que je retranscris en dessin. Je mets en évidence des éléments qui m’intéressent : une lumière, une intensité. Elle sera le vocabulaire de ma sculpture.
Que vous apporte le béton ?
O. E. : C’est un matériau que je travaille depuis les années 1970, quand j’étudiais aux Beaux-arts de Lausanne. Les élèves sculptaient le plâtre qui était peu résistant. Nous étions deux ou trois à utiliser le béton, bon marché et surtout utilisable en extérieur. Ma méthode de travail est ancestrale. Le modelage de la terre permet de réaliser un moule en plâtre dans lequel je coulerai le béton. À l’époque, on travaillait sur le corps. Mes premières œuvres en béton ont donc été des têtes et des torses
Vos œuvres sont souvent de très grand format ou groupées en série, quel est votre rapport à l’architecture et au paysage ?
O. E. : Dans le cadre d’une exposition en plein air, je travaille sur un lieu, un champ, une géographie qui guide et inspire mes grands travaux. Le rapport à l’architecture est plus complexe car il s’agit de faire loger, d’intégrer mon œuvre dans le travail d’un autre. Par exemple, 189 personnages en béton ont pris place dans un centre administratif de Lausanne et 47 autres aux abords d’un collège. C’est un exercice qui ne marche que dans l’échange et un sujet passionnant. D’ailleurs, je donnais des heures d’enseignement dans une école d’architecture, à Lausanne.
Quel est votre processus de création ?
O. E. : Quand je développe un projet, je pars souvent d’une situation, d’un lieu. Les loups sont arrivés pendant une marche en montagne. Par rapport à l’expression, la forme est plus longue à venir. Je ne suis pas sculpteur animalier et je ne travaille pas d’après nature : mes loups sont fantasmés, ils sont une image de la violence, l’évocation d’un mouvement, une mise en scène, une transition….
Comment vos loups de béton noir sont-ils arrivés dans les jardins du Palais Royal, à Paris ?
O. E. : Les loups ont participé au film de Pascal Thomas « Le crime est notre affaire » d’après Agatha Christie. Le scenario intégrait un artiste avec un atelier. Après le film, j’ai débarqué avec toutes mes bêtes au cœur de la ville, au Palais Royal. Pascal Thomas était le commissaire de l’exposition « Les loups d’Estoppey ». Les treize loups étaient disposés en diagonale, comme s’ils traversaient le jardin. Je me suis inspiré d’une photo de Cartier Bresson où l’on voit un personnage qui passe entre les arbres alignés.
Que deviennent vos œuvres monumentales ?
O. E. : D’une manière générale, les visiteurs me disent « C’est un peu trop grand pour mon jardin ». Quelques-unes sont dans des collections publiques. Mon troupeau d’oies est installé chez le sculpteur Daniel Spoerri en Toscane. C’est un grand parc de sculptures qui se visite, entre Grosseto et Sienne. Pour un particulier, j’ai créé une installation avec trente-cinq Jarres de larmes. J’aime que les œuvres évoluent, comme une histoire qui s’accumule. Je cultive mon boulot, et puis voilà…