L’exposition « Pierre-Louis Faloci : Révéler le “Hors-champ”, une éthique contemporaine » a été conçue dans le cadre de l’atelier de projet de 1ère année de cycle Master du domaine Architecture Théorie Critique (ATC). Pourriez-vous nous en dire plus sur cet atelier et ses enjeux pédagogiques ?
Cet atelier porte sur l’apprentissage du projet architectural, en prenant comme support l’analyse critique de contenus théoriques pour la conception d’expositions d’architecture par les étudiants. Ici, ils ont travaillé à partir de l’exposition monographique « Pierre-Louis Faloci, une écologie du regard » qui a eu lieu à la Cité de l’architecture et du patrimoine en 2022-2023.
Ils ont comparé douze édifices retenus par l’agence Faloci, avec la contrainte de retranscrire ce qui émergeait de cette analyse dans les 200 m2 de l’espace d’exposition de l’école d’architecture de Nancy.
En quoi l’œuvre d’un architecte tel que Pierre-Louis Faloci vous paraît-elle incontournable dans l’enseignement de l’architecture ?
Son œuvre est incontournable pour sa démarche singulière, qui associe à la conception architecturale la dimension paysagère. Il a été inspiré par l’œuvre d’André Le Nôtre, en particulier par le parc du château de Vaux-le-Vicomte où des dispositifs optiques permettent de passer d’un point de vue à un autre au fil du déplacement.
Cette approche visuelle dans le parcours complète l’apport de la culture cinématographique qui l’intéresse depuis l’enfance puisque son grand-père avait un cinéma à Nice.
Comment les étudiants ont-ils abordé ce projet d’exposition ?
Le point de départ a été la découverte de deux bâtiments emblématiques de Pierre-Louis Faloci situés dans le Grand-Est : le Centre civique d’Hayange et le Centre historique de la bataille de Valmy. Ces visites ont permis aux étudiants de s’emparer des thématiques caractéristiques de son œuvre, qu’ils ont pu identifier par ailleurs dans l’analyse des édifices présentés à la Cité de l’architecture.
En élaguant dans une masse de photographies, plans, coupes, textes, maquettes, etc., en procédant par association d’images et comparaison, les étudiants ont construit le récit de ce qui relève du hors-champ et que l’architecte révèle, mis en lumière dans les sections : « Révéler par l’histoire sourde du lieu », « Révéler par le patrimoine » et « Révéler par le paysage ».
Ont-ils pu échanger avec Pierre-Louis Faloci en personne ?
Une première visio-conférence a permis aux étudiants de présenter leur esquisse de projet sous la forme de photomontages en 3D, puis d’échanger avec lui sur le contenu et les orientations de mise en espace des maquettes et des dessins. Cet échange argumenté a été très formateur pour les étudiants, mis en situation réelle auprès d’un professionnel exigeant.
Une seconde visio-conférence, organisée autour d’une sélection d’extraits de films intégrés à l’exposition, a permis de lui demander pourquoi certaines scènes de Stalker d’Andreï Tarkovski, Paths of Glory de Stanley Kubrick, La Notte ou encore Le désert rouge de Michelangelo Antonioni… sont fondamentales dans la construction de son univers conceptuel.
Pendant une heure et demie, il a expliqué sa vision de la culture cinématographique et ce qu’il en tirait dans son approche de l’espace, du paysage, de l’architecture et de son enseignement puisqu’il est professeur d’architecture émérite à l’école d’architecture de Paris-Belleville.
Un troisième temps d’échange a eu lieu lors du vernissage de l’exposition grâce à une visite guidée proposée par les étudiants pour leur invité.
Quels sont les enseignements essentiels de cette exposition sur le travail de Pierre-Louis Faloci ?
L’exigence de Pierre-Louis Faloci a marqué les étudiants, qui le connaissaient mais n’imaginaient pas l’ampleur de son œuvre. Ils ont mesuré l’importance de la rigueur dans la vérification des sources à transmettre au public, par déontologie et honnêteté intellectuelle, mais aussi la nécessité d’éprouver sa propre méthodologie de travail par le dessin et le prototypage. Ils ont pris conscience de l’épaisseur des choses, du sens de ce qu’on fabrique pour construire l’avenir sans oublier le passé.
Que raconte cette rencontre sur la place du béton dans son œuvre ?
La plupart des édifices construits par Pierre-Louis Faloci sont en béton banché, lasuré, texturé…
Il utilise le béton brut dans les systèmes constructifs de type poteau-poutre, qu’il établit à l’intérieur de volumes existants, comme au Learning Center de Dunkerque, au Musée d’art et d’histoire de Rochefort-sur-Mer, ou encore pour les portiques de la ferme viticole au Portugal.
Ce système constructif massif permet de découper l’espace et de définir des cadres de vision dans lesquels l’emboîtement des échelles est très important : échelles de l’édifice, du paysage et du territoire.
Une autre approche du béton porte sur l’expression de la texture et la matière utilisée, comme les agrégats locaux au Musée Mariana, en Corse, ou les voiles en béton brut avec banches apparentes au Centre archéologique et Musée Bibracte, au mont Beuvray, remporté dans le cadre du concours des Grands Travaux de François Mitterrand, en 1991.
Pierre-Louis Faloci utilise également le béton lasuré noir pour concevoir ce que les étudiants ont appelé ses « chambres cinématographiques », citées ainsi dans l’exposition : « Pour capter l’attention du regard, en racontant l’histoire d’un site par des dispositifs optiques, les bâtiments de Valmy et du musée de la guerre 14-18 de Lens sont en béton lasuré noir avec des effets réfléchissants, imaginés comme des chambres noires cinématographiques. »
Plus globalement, à travers cette exposition et le travail qui l’a précédée, comment percevez-vous le regard des jeunes architectes de demain sur leur métier ?
L’enseignement tiré de cette expérience au contact de Pierre-Louis Faloci a permis à ces jeunes architectes de considérer le « déjà-là » dans ce qu’il nomme « l’histoire sourde du lieu ». C’est très important pour ces futurs professionnels qui interviendront dans des sites construits ayant une histoire plus ou moins dramatique, comme ce fut le cas à Hayange avec la sidérurgie, au Mémorial du Struthof ou encore à Bibracte avec les premiers peuplements celtes.
L’observation fine par le dessin, la retranscription photographique de phénomènes captés in situ, l’analyse croisée historique, urbaine et paysagère… sont autant d’outils à manipuler pour donner du sens à toute intervention destinée à « réparer ».
C’est sur ce dernier concept contemporain que Pierre-Louis Faloci a insisté auprès du groupe de six étudiants auteurs de cette mise en scène de son travail et auprès du public présent à la conférence ayant précédé le vernissage de l’exposition.
« Pierre-Louis Faloci adopte une approche unique en utilisant du béton noir brillant dans ses conceptions architecturales, comme au Struthof, à Valmy, à Lens. Cette manipulation du matériau permet aux bâtiments de refléter leur environnement, créant ainsi une intégration visuelle dans le paysage environnant. Et cette réflexion crée une sensation d’introspection dans le béton : ce dernier semble se retirer visuellement, tout en étant pleinement immergé dans son contexte.
Cela ajoute une dimension subtile à l’interaction entre les structures et leur environnement, créant une expérience architecturale plus immersive, permettant de révéler l’histoire du lieu. Le béton est souvent perçu comme un matériau brut, épais et imposant. Cependant, l’approche architecturale de Pierre-Louis Faloci lui confère une tout autre valeur. »
Emma Roszak, étudiante en master à l’École nationale supérieure d’architecture de Nancy, contributrice de l’exposition
« Dans cette exposition qui rend hommage à l’œuvre de Pierre-Louis Faloci, nous avons voulu valoriser son travail de recherche de dispositifs optiques, ainsi que son approche de ‘l’histoire sourde du lieu’. Pour ce faire, nous avons mis en lumière les esquisses et les croquis qu’il a réalisés pour chacun de ses projets, où l’on perçoit pleinement l’importance qu’il accorde aux dispositifs optiques, à la lumière, au parcours architectural et à l’histoire du lieu.
Cette exposition a également été conçue pour valoriser le travail en maquette, un outil indispensable à la conception architecturale, surtout dans le cadre de notre apprentissage. »
Julien Chovelon, étudiant en master à l’École nationale supérieure d’architecture de Nancy, contributeur de l’exposition