Dans ce quartier du 19ème arrondissement de Paris connu pour ses charmantes petites maisons ouvrières, les deux bâtiments contigus du 58 et 66 rue de La Mouzaïa détonnent par leur aspect massif et, jusqu’à récemment, provoquaient rarement les commentaires flatteurs des riverains.
Depuis leur rénovation – Patrick Rubin, l’architecte (Canal architecture) en charge de l’opération, préfère parler de « réparation » – et leur transformation en logements, les deux anciens immeubles de bureaux attirent les regards étonnés et presque admiratifs des mêmes voisins.
Le premier est un bâtiment industriel de belle facture datant de 1924 signé Pierre Sardou et Maurice Chatelan. Mais c’est surtout le deuxième qui attire l’œil avec son style brutaliste plutôt rare à Paris, caractérisé par sa façade géométrique et saillante.
Le projet a été commandé en 1974 par l’administration de la Sécurité sociale à André Remondet et au jeune Claude Parent, qui s’est principalement occupé des façades béton réalisées sur site et en préfabrication.
« On se souvient que lorsqu’il était étudiant, il n’aimait pas l’école des Beaux-Arts, mais son sens de la composition est bien présent », indique Patrick Rubin.
À la demande la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP), qui a racheté à l’État ces deux immeubles, l’atelier Canal architecture a élaboré l’ensemble de l’opération, soit 12 000 m2 de bureaux reconvertis en centre d’accueil pour l’Armée du Salut, logé dans le bâtiment de 1924, et en résidence du Crous pour étudiants et jeunes travailleurs, complétée par des espaces de coworking et des ateliers d’artistes pour celui de 1974.
Une façade béton résistante et adoucie
C’est sur le bâtiment de Remondet/Parent, qui vient d’être classé « Architecture contemporaine remarquable du XXe siècle », que les interventions ont été les plus importantes avec notamment le changement des menuiseries extérieures.
« On a substitué l’aluminium au bois et étendu le cadre ouvrant de la fenêtre. Esthétiquement, le contraste fonctionne avec le béton. La barrière thermo-acoustique est créée sur ce dispositif alors qu’auparavant, c’était une déperdition d’énergie permanente, explique Patrick Rubin. Le contraste bois/béton offre un aspect plus domestique au bâtiment. »
L’aménagement intérieur a demandé peu de modifications, ainsi que l’explique Patrick Rubin. « Cela n’a pas été trop complexe car, hormis le bloc technique, central et aveugle, les espaces latéraux donnaient sur 600 fenêtres. Un troisième escalier en fin d’aile Sud assure la conformité aux normes de sécurité applicables aux logements. C’est un bâtiment réversible avant l’heure. »
La seule transformation d’importance a été celle d’épaissir le plancher béton pour améliorer l’isolation acoustique. Une surcharge de sept centimètres de béton a été le moyen technique le plus efficace pour remplir l’objectif.
Pour l’architecte Patrick Rubin, dont l’atelier vient de publier un nouvel ouvrage sur la question (« Transformation des situations construites« ), si ces projets de changement de destination sont encore des cas d’école, ils devraient se multiplier dans les années, voire les mois à venir.
« Il y a un grand potentiel de bâtiments en béton, de nombreux édifices seront transformés en logements. Ils ont la valeur d’être là, de porter un récit et d’avoir payé leur tribut carbone. Ces constructions ont souvent été réalisées par de bons architectes, les structures sont de bonne qualité, une esthétique se révélera dans ces architectures peu observées. Ne pas détruire est la première action du développement durable. »