Pouvez-vous nous présenter votre parcours en quelques mots ?
Fred Brossard : du plus loin que je me souvienne, j’étais un enfant qui voulait faire du dessin. Pour devenir illustrateur, j’ai passé le concours de l’École Estienne et appris les rudiments des métiers liés à l’édition : dessin, gravure, maquette graphique, calligraphie, photo, etc.
Je me suis initié à la 3D dans une entreprise du cinéma qui réalisait des films d’animation pour les enfants, image par image. Stagiaire, je peignais les marionnettes.
Embauché directement, j’ai découvert l’univers des intermittents du spectacle et réalisé des décors pour des spectacles – même à Las Vegas –, le cinéma d’animation et des parcs d’attractions.
J’ai aussi créé des objets factices pour la pub. Une activité de plasticien, qui me permet de maîtriser pas mal de techniques de moulage et de sculpture.
Pourquoi vous orienter vers la technique du ciment faux-bois, et quels ont été vos premiers contacts avec le béton ?
F. B. : Au gré de mes déplacements en France, j’ai toujours été attiré par l’esthétique particulière du rusticage qui concerne le ciment faux bois, la rocaille concerne les faux rochers. J’en retrouve même sur mes vieilles photos de vacances ! En 2014, je me suis dit « Vraiment ça m’intéresse », et comme je vis toujours de mes passions, j’ai cherché des informations sur Internet.
Le lycée des métiers du bâtiment de Felletin, en Creuse, proposait une formation d’une semaine avec un maître rocailleur. Je n’avais jamais touché le ciment de ma vie et le premier contact a été intense et plutôt éprouvant.
En une semaine, nous devions apprendre toutes les étapes : du dessin de la pièce à sa fabrication. Nous avons travaillé le fer à béton et mélangé le ciment sans additif, juste du sable et du ciment. J’ai eu l’impression pendant ce stage que le ciment voulait toujours dégringoler… Quelle galère ! La magie est arrivée plus tard, avec un peu de recul, quand j’ai réalisé que le béton se travaille un peu comme un château de sable sauf qu’il est fragile un jour, puis solide pour toujours.
Qu’avez-vous fait de ces connaissances toutes neuves ?
F. B. : Le ciment est devenu un matériau de plus dans ma palette de sculpteur. En 2015, j’ai attaqué une grande réalisation. Un mélange de ferraille-résine habillé de ciment. Cette sculpture représentait une grosse racine en forme de main. Baptisée « The hand », elle est actuellement installée dans les jardins du musée d’archéologie de Guéret.
Entre 2014 et 2021 j’ai beaucoup expérimenté et travaillé les dosages d’additifs qui permettent de rendre la pâte plus agréable à travailler. Je me suis beaucoup documenté aussi, mais la littérature sur la rocaille est rare : à peine une dizaine d’ouvrages dont ceux de Michel Racine. On trouve dans les archives les réclames que publiaient les artisans de l’époque. Elles sont parfois illustrées. Le métier de rocailleur se transmet oralement.
Quelles sont vos méthodes de travail ?
F. B. : Avant tout, je fais une maquette en en volume. En tournant autour, je vois les équilibres et cela me fait gagner beaucoup de temps. Réfractaire à la modélisation virtuelle et aux imprimantes 3D, j’ai envie du contact avec la matière et de travail empirique.
Quand on cintre le fer à béton, il y a toujours une part d’improvisation entre ce qu’on a imaginé et ce qu’on ajuste. On accueille, on ne se bride pas : cette étape est passionnante. J’utilise du ciment Portland et une recette personnelle qui me permet de réduire la ferraille et l’adjonction d’eau au mélange sable-ciment.
Au XIXe siècle, on faisait de grosses branches car le béton n’était pas très étanche. Lorsque le fer rouillait, c’était la catastrophe. Le mélange que j’utilise rend le mortier plus souple et plus étanche. Sur un squelette métallique très fin, il me permet d’obtenir des pièces à l’épreuve du temps.
Aujourd’hui vous vous spécialisez dans la rocaille et le rusticage ?
F. B. : Mon entreprise de rocailleur est née au printemps dernier. Je me suis lancé dans la fabrication d’ornements et de petit mobilier. Je crée des tables, des bancs, des sièges et même des champignons.
En ce moment je travaille sur un banc de trois places. Je m’inspire de la nature pour modeler des branches, leur écorce, l’aubier. Je sculpte aussi les fausses pattes de montage et même les vis. Je suis très sollicité pour aller faire des restaurations mais pour le moment je préfère le travail en atelier. La gamme chromatique de mes bétons est à base d’oxydes métalliques : le chlorure de fer pour les tons du jaune pâle au rouille et le sulfate de cuivre pour la palette du bleu-vert.
Attention aux effets flashys ! Je travaille souvent en nuances de gris. Je commence à exposer mes pièces, par exemple au cours des Journées des plantes et d’art du jardin à Blandy-Les-Tours (77).
Des particuliers, des paysagistes, des jardins publics et des designers me contactent car la rocaille est dans l’air du temps. Cette technique du rusticage n’est pas une caricature du bois mais une évocation et une représentation personnelle.