Un test grandeur nature, la réplicabilité à la clé
220 logements, dont 70 sociaux, sur deux bâtiments de 5 et 6 niveaux. Ce n’est pas un « petit » projet que Seqens, filiale du groupe Action Logement, construit à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) depuis mars 2023.
Et pourtant, cet ensemble baptisé “Recygénie” va inclure pour sa structure 1500 m3 de béton à 99% recyclé.
« Ce n’est pas réalisable pour les adjuvants, mais les gravillons, le ciment, le sable et l’eau en revanche le sont », explique Flore Bellancourt, responsable Marché bâtiment de Lafarge France.
L’industriel français est en effet un acteur de cette prouesse, au terme d’un partenariat d’innovations noué avec Action Logement.
« Notre objectif est de tester en grandeur nature cette solution, et le leur est de pouvoir répliquer cette solution par la suite », indique la manager.
Un clinker 100% recyclé, véritable rupture technologique
Construire un ensemble immobilier de cette taille en béton recyclé est en tout cas une première mondiale.
« La vraie rupture technologique est d’avoir réalisé un ciment à partir d’un clinker à 100% recyclé », juge Flore Bellancourt.
Une telle fabrication n’avait jamais été réalisée au-delà de tests en laboratoire.
Pour y parvenir, l’industriel a dû trouver des déchets de construction et des déchets industriels à proximité du site, en quantité suffisante et susceptibles sur le plan chimique de réussir le procédé de clinkérisation. « C’est là que se situe la véritable difficulté. Ce sourcing demande un travail énorme. »
3 000 t de ressources naturelles économisées
Le clinker, réalisé en janvier 2022 à l’usine d’Altkirch (Haut-Rhin), a nécessité de nombreuses études pour arriver à la composition parfaite.
Dix produits recyclés différents ont été associés pour reproduire sa configuration chimique, notamment des cendres de bois ou des déchets issus du traitement des minéraux.
Une fois homogénéisé, le mélange a été cuit à la même température que pour un “cru” standard. Le clinker recyclé ainsi obtenu a été ensuite refroidi, suivant les étapes traditionnelles de préparation.
La différence est que les 2 000 tonnes de clinker produites ont permis d’économiser environ 3 000 tonnes de ressources naturelles, tout en valorisant des déchets.
La baisse des émissions de CO2 est estimée à 10% environ.
Quant à l’utilisation de gravillons, d’eau et de sable recyclés, elle constitue une performance technique moindre que celle du clinker, mais la réaliser sur un projet de cette ampleur n’en constitue pas moins un exploit.
« Cela n’avait jamais été fait sur une si grande échelle », précise Flore Bellancourt.
Faire rimer recyclé et sécurité
Cette réussite technique se double d’une évolution de la réglementation. Jusqu’en 2022, celle-ci permettait seulement l’intégration de 15 % de gravillons recyclés dans les bétons.
Publiée en octobre 2022, la nouvelle norme NF EN 206+A2/CN permet d’aller plus loin en augmentant la proportion de gravillons recyclés et d’ajouter une fraction de sable recyclé.
Sous certaines conditions extrêmement restrictives et selon une approche “performantielle”, il est même à présent possible de parvenir à du béton presque 100% recyclé. C’est le cas pour le programme Recygénie.
Reste maintenant à rendre réplicable ce type de projets avec du béton en totalité recyclé. C’est pourquoi une appréciation technique d’expérimentation (ATEx) a été demandée.
Créée à l’initiative du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), il s’agit d’une procédure rapide d’évaluation technique formulée par un groupe d’experts sur tout produit ou procédé innovant.
Cette évaluation permet des premiers retours d’expérience sur la mise en œuvre de produits ou procédés en préalable à un ATEx. Elle permet également de valider des conceptions innovantes.
Les premiers coulages, effectués en juin, se sont parfaitement réalisés, les caractéristiques du béton recyclé étant identiques à celles d’un béton classique.
« Ce béton peut même être architectonique. C’est d’ailleurs le cas dans le projet Recygénie, qui offre de belles façades matricées », note Flore Bellancourt. L’ensemble du programme sera livré fin 2024.