Oser le contemporain
L’architecture est un art qui se vit : l’espace, la lumière, la matière, ça se sent. Parfois, il y a des petits miracles qui permettent de vivre l’architecture à distance, par procuration, parce que l’histoire et la réalisation du projet ont été si bien vécues que la qualité se transmet. Ce petit miracle, il s’est produit à La Réole, où une médiathèque a été réimplantée dans un prieuré construit entre 1704 et 1759. Les architectes ont su partager leur vision, et l’architecte du patrimoine a défendu cette approche contemporaine. La maîtrise d’ouvrage a accepté de suivre leurs préconisations malgré certaines réticences. Quant à l’exploitante du lieu, elle a su s’emparer avec dynamisme de ce projet pour le mettre au service du public.
Un écrin en béton ciré
La médiathèque de La Réole occupe une partie du rez-de-jardin du prieuré des Bénédictins. Inscrit à l’Inventaire des Monuments Historiques, cet édifice majestueux domine la vallée de la Garonne, et accueille désormais la mairie ainsi que quelques services du Trésor public. La présence d’un groupe scolaire à proximité a conduit la Communauté de communes à choisir cet emplacement, en affichant fermement sa volonté d’attirer le jeune public.
Lauréats du concours, les architectes Nadau-Lavergne associés à l’architecte du patrimoine Carole Dupuis-Maréchal n’ont eu qu’un objectif : retrouver la beauté originelle du lieu. Faisant appel à des entreprises locales, ils ont supprimé les murs séparatifs qui entravaient l’enchaînement des voûtes, et mis en valeur les appareillages de pierre : les murs ont été déjointés, grattés, poncés, rejointoyés à la chaux ; les pieds de voûte badigeonnés. Les éléments qui obstruaient les arcades ont été remplacés par des vitrages pleins et des huisseries métalliques, inondant de lumière naturelle les espaces intérieurs. Les sols ont été aplanis sur un seul niveau facilitant l’accès et fluidifiant les circulations. Les tommettes les plus anciennes, dites en écaille de poisson, auparavant disséminées ont été rassemblées en tapis dans la salle des archives. Le tout servi, comme sur un plateau, par un sol en béton ciré gris clair.
Servir la majesté des lieux
« Quand on est en confrontation avec l’histoire, il faut un socle important, raison pour laquelle nous avons pensé au béton, un béton gris, lisse, pour ne pas entrer en concurrence avec la pierre blonde, explique l’architecte Jérémy Nadau. Aujourd’hui ce so[c]l(e) laisse aussi bien s’exprimer la puissance de la pierre que la douceur des tasseaux de chêne qui habillent les parois. »
Lisse, doux, sobre, le béton ciré contribue à l’épure du nouvel espace, facilite les usages et met en valeur les éléments patrimoniaux, notamment le tapis de tommettes élégamment mis en scène par le béton ciré qui en respecte les contours arrondis.
Force de conviction
Que l’on ne se méprenne pas : si tous les acteurs se félicitent aujourd’hui du sol en béton ciré, ce choix n’a pas immédiatement remporté tous les suffrages. En effet, niveler et unifier les sols par la mise en œuvre d’un béton ciré était une option défendue par les architectes… qui a engendré quelques réserves.
Essentiellement parce que « la grande qualité de ce projet était de retrouver l’état originel, témoigne Thibaut de Taste, Directeur Général des Services pour la Communauté de Communes du Réolais en Sud Gironde. Dans cette optique, la démolition du sol semblait superflue. » D’autant que certains élus souhaitaient conserver les carreaux de Gironde du sol existant.
« Ils n’ont aucune valeur patrimoniale, mais ce sont des produits locaux traditionnels, auxquels nos élus attachent une valeur culturelle et historique. Finalement, l’aspect esthétique, très subjectif, n’a guère pesé. C’est l’argument pratique qui a fait pencher la balance : la planéité du sol nécessaire à la mise en œuvre du béton ciré permettait d’améliorer les conditions d’exploitation (NDLR : chariot de livres) et la qualité d’usage de la médiathèque (NDLR : accessibilité PMR). »