« Avant sa rénovation complète achevée en septembre 2018, l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône (71) était comme un 4/4 qui aurait traversé l’Afrique. Le moteur fonctionnait encore mais la carrosserie était devenue assez invisible pour les habitants alors que c’est un édifice monumental (13 000 m²). Après avoir subi plus de 40 ans d’intempéries, tout l’extérieur était très gris », se souvient Philippe Buquet, jusqu’à fin 2019 directeur de cette « Maison de la Culture » inaugurée en 1971.
Un crève-cœur pour cet homme passionné qui, depuis son arrivée à la tête de cet équipement public il y a 18 ans, l’a redynamisé à travers une programmation audacieuse.
Désignée en 2016 pour réaliser cette opération de « restauration » de ce bâtiment classée monument historique en 2013, l’agence lilloise Hart-Bertoloot AAT (HBAAT) associée à l’APH de Liège fait un premier choix fort.
« Nous avons été retenus sur une méthode atypique, celle d’une co-construction avec les équipes de l’Espace des Arts. Nous sommes venus trois jours sur place et nous avons rencontré tout le monde – le directeur, les acteurs, les ouvreurs, les techniciens… – afin de comprendre ce bâtiment complexe et ses besoins », explique l’architecte Mathieu Berteloot, associé de HBAAT.
Un recours à l’histoire pour réussir la transformation
Deuxième option importante : un recours à l’histoire de la conception de l’Espace des Arts pour mieux en réussir la transformation.
« Un historien, Richard Klein, a retrouvé les nombreux projets avortés de l’architecte d’origine, Daniel Petit. Nous nous sommes ainsi aperçus qu’au départ, il devait s’ouvrir de plan pied sur une esplanade. Mais il a été demandé au dernier moment d’implanter sous le bâtiment un énorme parking pour la Maison de la Culture et un gymnase voisin, ce qui a conduit à réaliser un socle opaque déconnectant totalement le bâtiment de la ville. Toutes les fonctions d’accueil avaient été montées au premier niveau avec un escalier monumental qui permettait d’y accéder à partir du parvis. Nous avons alors décidé de revenir au projet initial en rétablissant l’accueil au rez-de-chaussée et en démontant l’escalier pour en réinstaller un nouveau à l’intérieur. Cette démarche montre qu’il est possible de modifier un édifice classé en respectant la volonté de l’architecte d’origine. Cet argument a compté auprès des Bâtiments de France. »
L’opération de réhabilitation modernisation est en tout cas gigantesque : rénovation des trois salles de spectacles, des espaces d’expositions, d’un café, réalisation d’un ascenseur central pour desservir les scènes et d’une résidence d’artiste de 220 m² au-dessus de la cage de scène.
Béton coulé à la planche : la main de l’ouvrier
De style brutaliste, l’Espace des Arts est presque entièrement fait en béton, qui sont de trois sortes (de granulats, coulé à la planche et en éléments préfabriqués). L’agence HBAAT a voulu leur redonner leur beauté originelle.
« La plupart n’étaient pas en mauvais état, mais ils étaient souvent cachés par des sous-plafond ou des faux-murs. Nous avons donc remis au jour des pans entiers, comme dans la salle de théâtre qui a retrouvé sa géométrie d’origine. Plus que de construire, nous avons déconstruit et fait apparaitre les éléments structurels du bâtiment, par exemple le système de poteaux-poutres dans le hall. C’est du béton coulé à la planche et on sent la main de l’ouvrier, la vérité constructive. »
Dans ce chantier de modernisation, aucun ajout en béton n’a été fait. « Des contrepoints sont intervenus avec la mise en place d’éléments en bois, des ouvertures en verre et des éclairages, rappelle Philippe Buquet. Alors qu’avant, tout était confondu, ces apports de lumière naturelle et de points lumineux ont révélé la beauté du matériau. »