Bétons biosourcés : où en est la recherche aujourd’hui ?
Qu’est-ce qu’un béton biosourcé ?
Dans un béton biosourcé, les granulats minéraux traditionnels sont partiellement remplacés par des éléments d’origine végétale, animale, ou recyclés. Il n’existe pas « un » mais « des » bétons biosourcés, chaque fibre apportant des qualités bien spécifiques au matériau.
Alors que la RE2020 a fixé des objectifs ambitieux en termes de construction durable, les bétons biosourcés se distinguent par leur bilan carbone favorable, tout comme par leurs performances hygrométriques et acoustiques. Des qualités recherchées autant en neuf qu’en rénovation.
Pouvant être produits localement, ces matériaux s’inscrivent dans une stratégie de réponse aux enjeux climatiques, de protection et de valorisation de l’environnement. Connaissant une croissance spectaculaire depuis 2018, ils sont aussi en pleine évolution.
Panorama des innovations
Mis au point il y a une quarantaine d’années, le béton de chanvre est souvent considéré comme le plus mature des bétons biosourcés. Fabriqué avec la chènevotte de chanvre, il est mis en œuvre par coulage ou projection et existe également en blocs. Ses propriétés isolantes et hygrométriques en font un véritable atout en matière de confort et d’économies d’énergies. Le mélange chaux-chanvre est au cœur d’habitats innovants à faible impact environnemental, avec par exemple le projet Hausmade. Les recherches se poursuivent aujourd’hui pour renforcer la résistance au feu du béton de chanvre, ses capacités d’isolation, sa durabilité, ainsi que pour affiner les processus de fabrication et ainsi réduire les coûts. Car la demande s’accélère sur le marché mondial, où la part européenne représentait plus de 47% en 2023, selon un rapport de Kings Research. La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, en particulier, sont à l’avant-garde de l’adoption de matériaux de construction respectueux de l’environnement
Autre béton biosourcé, le béton de bois est issu de bois de trituration ou de copeaux de scierie. Lui aussi est isolant du point de vue thermique et hygrométrique, avec une valeur ajoutée au niveau acoustique. On l’utilise pour la fabrication d’écrans anti-bruit et il se développe aujourd’hui sous la forme de panneaux structurels ou porteurs. Les granulats de bois, traités et intégrés à la matrice cimentaire, démontrent une belle résistance au feu et une stabilité dans le temps.
Parmi les autres bétons biosourcés figurent le lin, le liège, le miscanthus, le bambou… Constitués de végétaux ou de bois qui ont capté du carbone grâce à la photosynthèse, certains de ces bétons biosourcés sont carbonégatifs, c’est-à-dire qu’ils stockent plus de CO2 que leur fabrication ou leur transport n’en émettent. Ce calcul de l’impact environnemental est devenu une composante essentielle de la RE 2020, avec l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) des matériaux dans les bâtiments.
Quels défis pour développer et industrialiser des bétons biosourcés à usage structurel ?
Une technologie désormais structurelle pour le bâtiment ?
Le principal atout des bétons biosourcés est leur légèreté. Aussi leurs applications sont souvent non structurelles (murs et chapes légères, isolation, remplissage d’ossature, coffrages perdus…), mais on trouve aujourd’hui des blocs ou panneaux porteurs de béton biosourcé – des progrès que continuent de poursuivre industriels et ingénieurs.
Parmi les pionniers en France, CCB Greentech a mis au point des produits contenant jusqu’à 80 % de bois, comme la technologie TimberROC®, en partenariat avec Lafarge, qui possède un ATEx de type A pour du R+3. Dans le même esprit, les blocs de béton de chanvre Biosys® sont utilisés seuls ou en complément de chaînages en béton armé pour construire des maisons individuelles, des petits bâtiments tertiaires en R+1. Codéveloppés par Vicat et Vieille Matériaux, ils disposent également d’un ATEx de type A. De leur côté, Alkern, Heidelberg Materials et l’INRA ont mis au point des blocs porteurs en béton de miscanthus, industrialisés sur un site normand, là où la plante est cultivée. L’enjeu à plus long terme est de développer une filière autour du miscanthus, pour une grande diversité d’applications industrielles.
Autre projet innovant, LINAGGLO (2024-2027) travaille sur l’industrialisation de blocs de béton de lin pour la construction de logements individuels. Il faut savoir que la production de lin est très importante en France et que le béton biosourcé permet de valoriser les tiges qui sont broyées. L’originalité du projet repose sur la mixité des solutions biosourcées : un matériau structurel à partir du lin, complété par un isolant.
De manière générale, les axes de travail en matière d’industrialisation portent sur la sélection des matières premières, l’optimisation des mélanges, le développement de nouveaux liants, mais aussi la sécurisation des approvisionnements (pour le bois par exemple, avec des filières spécifiques pour la fabrication des granulats…).
Accompagnement des professionnels du BTP
De même que LINAGGLO est un projet d’innovation, rapprochant écoles d’ingénieurs et entreprises, la chaire industrielle SWITCH illustre le partenariat stratégique entre CCB Greentech et Polytech Clermont. SWITCH a été créée afin de soutenir le développement de matériaux innovants à faible émission carbone et particulièrement les bétons biosourcés (l’un des objectifs est la mise au point d’un béton autoplaçant, composite béton de bois). L’enjeu est aussi d’y sensibiliser et former les futurs ingénieurs Génie civil.
Pour les professionnels en exercice, entreprises du BTP, bureaux d’études, maîtres d’œuvre…, la documentation apporte une aide indispensable. L’Agence Qualité Construction diffuse la Liste verte de la Commission Prévention Produits (C2P), qui recense les produits validés comme des techniques courantes, notamment en termes d’assurance. De la même façon, les Fiches de Déclaration Environnementale et Sanitaire (FDES) informent sur les produits et leur impact environnemental. On trouve également de nombreuses ressources sur le site de l’AICB, Association des Industriels de la Construction Biosourcée. Au sein des filières, des structures telles que Construire en Chanvre proposent des guides et des formations à destination des professionnels.
Réglementations et normes : tour d’horizon
Où en est l’encadrement des bétons biosourcés ?
L’absence de norme constituée reste un frein majeur actuellement en France, qui est pourtant un pays expert sur le sujet du béton biosourcé. Les bétons de chanvre disposent de Règles professionnelles acceptées par la Commission Prévention Produits mis en œuvre (C2P). Les autres bétons biosourcés ou éléments préfabriqués relèvent du cadre des ATEx et des ATec. Mais la marge de progression reste importante. Parmi les évolutions récentes, on peut citer la mise à jour en 2024 du label Bâtiment biosourcé, dont l’objectif est de valoriser les biosourcés dans la construction neuve, et dont le principal changement, en cohérence avec la RE 2020, devient la prise en compte de la quantité de carbone stocké, davantage que la quantité de matériaux biosourcés. En outre, pour atteindre les niveaux 2 et 3 du label, les matériaux doivent intervenir dans plusieurs parties du bâti et notamment l’isolation.
Vers une réglementation pour formaliser les avancées
Cap important dans ces démarches, la présentation en 2024 de la prénorme N2GB (Normalisation des Granulats pour Bétons Biosourcés). Fruit de plusieurs années de travail, celle-ci a pour but de constituer une carte d’identité globale des caractéristiques et des performances des bétons biosourcés. Le but est de formaliser les avancées de la recherche et des pratiques, pour rassurer et continuer à développer ces modes constructifs nouveaux.
Sans doute aussi que des réalisations emblématiques serviront de référence. On peut donner en exemple la Cité des Climats et vins de Bourgogne, conçue par l’architecte Emmanuelle Andreani et livrée en 2023. Ayant obtenu le label Bâtiment biosourcé niveau 3, le bâtiment-monument a été construit avec une enveloppe en ossature bois contenant 36 cm de béton de chanvre projeté. Il s’agit du bâtiment le plus haut de France employant cette technique d’isolation naturelle.