Carlos Barba, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis architecte, et mon agence d’architecture s’appelle Ar+Te – architecture plus territoire –, parce qu’à chaque fois que nous intervenons sur le territoire, nous portons d’abord un regard sur le site, ses enjeux sociaux ou économiques.
Dernièrement, j’ai étudié plusieurs projets d’architecture d’intérieur, de design de mobilier et de mobilier urbain.
Mon atelier travaille à toutes échelles, urbaine ou individuelle, puisque nous concevons aussi bien des maisons individuelles que des projets pour des collectivités, ou encore, comme nous le faisons actuellement, des écoquartiers.
Parmi vos projets de design, il y a Litholux. En quoi consiste-t-il, comment est-il né ?
Comme nous réfléchissons au territoire, nous nous sommes intéressés à la terre et aux matériaux. En 2014, nous avons conçu un groupe scolaire et la question de la réutilisation du béton des fondations s’est vite posée.
Nous voulions construire avec l’existant, avec les choses qui se trouvent sur le site. J’ai commencé à faire des recherches sur le réemploi du béton. Très vite, je me suis dit qu’on pouvait faire du mobilier urbain, dans une logique d’économie circulaire.
Dès 2015, j’ai suivi les travaux d’un ingénieur mexicain sur le béton photoluminescent. Inspirée de la bioluminescence naturelle produite par certains organismes dans les abysses et par certaines algues, la photoluminescence est notamment utilisée sur les pistes cyclables en Hollande. J’ai pensé à la pollution lumineuse des villes.
Bien sûr, on éteint de plus en plus l’éclairage public, mais il faut penser à créer des repères dans la nuit, et la photoluminescence offre une bonne alternative pour ne pas consommer l’énergie inutilement.
Comment cette idée de béton photoluminescent s’est-elle concrétisée ?
En 2018, Ar+Te a participé à l’appel à projets FAIRE, organisé par la Ville de Paris. Nous avons proposé du mobilier urbain – des bancs et des dalles – réalisé avec les déchets des constructions.
Nous l’avons appelé “Litholux”, “litho” pour pierre et “lux” pour lumière, parce que notre matériau – comportait des agrégats photoluminescents.
Pour ce projet, je ne souhaitais pas développer le côté « peinture » en utilisant la matière luminescente en surface pour créer des graphismes décoratifs, mais plutôt l’introduire d’une manière technique dans du mobilier urbain pour éclairer par photoluminescence.
La matière est du béton de recyclage à 97%. Les agrégats vitrocéramiques photoluminescents sont introduits en surface. Ils vont capter la lumière pendant la journée et la restituer pendant la nuit.
Nous avons approfondi les recherches avec notre partenaire Cemex afin de mettre au point un béton bas carbone qui intègre des agrégats de récupération ainsi que des déchets plastiques.
Vous vouliez éteindre la Ville Lumière ?
Ça peut paraître un peu provocateur, mais dans le cadre du concours FAIRE nous avons en effet proposé d’éteindre la Ville lumière.
Il faudrait que Paris montre l’exemple en matière d’économies d’énergie, qu’elle passe de la ville « lumière » à la ville “économe”. Nous avons proposé d’éteindre les lampadaires pendant une semaine sur la place de la Concorde, afin d’imaginer ce que serait la ville du futur avec des bancs photoluminescents.
L’idée a été jugée trop utopiste : « On ne peut pas éteindre la place de la Concorde pour des questions de sécurité. »
Finalement, en 2020, on m’a proposé d’installer mes bancs à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, rue Pavée.
Mais les conditions n’étaient pas optimales : c’était pendant le confinement, il n’y avait personne pour se rendre compte de la photoluminescence des bancs et la bibliothèque est éclairée toute la nuit par de grands projecteurs…
Toutefois, l’idée est restée et on m’a proposé d’installer les bancs place de la Concorde, sans éteindre les lumières.
Quel est le design de vos bancs en béton ?
Nous avons conçu une forme assez rationnelle pour les bancs de la place de la Concorde. Les modèles sont rectangulaires et très épurés. Tellement épurés qu’on ne se rend pas compte de l’intervention. Ils sont en face de l’Obélisque, avec lequel ils dialoguent puisque ce sont des formes géométriques très simples.
On a l’impression qu’ils ont toujours été là, alors qu’il n’y a jamais eu de banc sur cette place historique. Avec les millions de touristes qui passent, on trouve toujours quelqu’un assis sur ces bancs. Impossible de les prendre en photo, ils sont toujours pris d’assaut, et ils verront défiler tous les sportifs des jeux de Paris, ce qui me rend très fier !
En revanche, nous n’avons pas installé les dalles sur la place de la Concorde. Nous l’avions fait à la Bibliothèque historique parce que le sol y est pavé. Il s’agissait de faire dialoguer les installations avec l’existant : les monolithes en béton avec le monolithe en pierre de l’Obélisque, et les dalles en béton avec les pavés de la cour de la bibliothèque.
D’autres villes ont été intéressées ?
Oui, nous avons été retenus pour la Biennale d’architecture de Venise 2025. Nous nous orientons vers le béton de recyclage “sur site”, plutôt que vers le béton photoluminescent, qui sera plus anecdotique.
Nous travaillons sur l’idée des strates de la ville et sur une façon de remplacer les pierres nobles et les marbres par de nouveaux matériaux issus des démolitions, toujours pour réaliser du matériel urbain.
Entre-temps, puisque je suis français d’origine mexicaine, nous exposons des bancs photoluminescents au musée de l’architecture et du design de la ville de Mexico, le musée Espacio. Cela fonctionne très bien dans cette capitale parce qu’il y a beaucoup de soleil. Et comme le musée n’est pas dans la ville mais dans un bois, on voit bien la photoluminescence.
D’autres projets avec le béton Litholux ?
À chaque fois, mon agence essaie de se renouveler. Nous répétons rarement les projets, et c’est le site qui nous inspire.
Nous venons d’achever notre projet pour le lycée international de Montreuil : outre la réhabilitation totale d’un bâtiment à structure bois, la cour a été rénovée avec du béton photoluminescent.
Un bureau de contrôle a vérifié et validé que l’exposition au matériau ne présente aucun risque sanitaire. Nous sommes convaincus que notre béton photoluminescent est une solution douce et écologique à la pollution lumineuse des villes et que, demain, Litholux éclairera nos nuits.