Chercheur à l’Université Gustave Eiffel et professeur à l’Ecole des Ponts, Jean-Michel Torrenti dispose d’une expérience de plus de trente-cinq ans en recherche dans le domaine du comportement mécanique et de la durabilité des bétons. Directeur du Projet National FastCarb (carbonatation accélérée des granulats de béton recyclé), il est également président de l’Ecole française du béton (EFB) et directeur de la recherche à l’Ecole supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction (ESITC Paris).
L’exposition sur Félix Candela nous permet de (re)découvrir son approche d’une architecture frugale à partir du béton. Quels étaient les fondamentaux de cette vision et que faut-il en retenir pour réinventer la construction ?
Jean-Michel Torrenti : Au-delà des formes originales et de l’élégance intemporelle de ses réalisations, Félix Candela cherchait à optimiser les structures de manière à minimiser l’usage des matériaux et le volume de béton utilisé. Que ce soit au niveau des coques, qui pour une épaisseur minimale supportent de très grandes portées, ou des parapluies, qui couvrent de grandes surfaces avec un seul appui, il a expérimenté une architecture à la fois audacieuse et économe.
Cette optimisation du design, avec des formes élaborées mais efficaces, des couvertures allégées et des structures autoportantes, est l’une des pistes à creuser pour réduire l’impact matériaux et carbone des ouvrages en béton, au-delà du coût et de la complexité de la construction.
Aujourd’hui, quels sont les moyens de réduire l’empreinte carbone des ouvrages en béton et d’aller vers plus de frugalité ?
Jean-Michel Torrenti : L’utilisation de bétons bas carbone combinée à un changement des méthodes de construction semble à court terme la solution la plus efficace. L’éco-conception, appliquée aux éléments et méthodes de construction, est aussi à développer au sein des bureaux d’études. L’amélioration du design des ouvrages avec des dalles et des couvertures allégées, renforcées en précontrainte ou avec des raidisseurs et des armatures optimisées, permet par exemple de réduire les volumes de matériaux utilisés, avec un gain de 10 à 20 % sur l’impact CO2. Dans certains cas, le recours à l’impression 3D ou au BFUP, notamment en réparation d’ouvrages d’art, peut aussi être intéressant.
« L’utilisation de bétons bas carbone combinée à un changement des méthodes de construction semble à court terme la solution la plus efficace. L’éco-conception, appliquée aux éléments et méthodes de construction, est aussi à développer au sein des bureaux d’études. »
Jean-Michel Torrenti, chercheur à l’Université Gustave Eiffel et professeur à l’Ecole des Ponts
Où en est-on du côté du matériau seul ?
Jean-Michel Torrenti : Il est d’ores et déjà possible de fabriquer des bétons bas carbone aussi résistants et durables que des bétons classiques. La vraie question est d’accepter que leur mise en œuvre prenne plus de temps, particulièrement au niveau des phases de décoffrage. À performances équivalentes, certaines formulations de béton bas carbone réduisent de 70 % les émissions de CO2 par rapport à du béton composé de ciment Portland.
Rappelons-le : l’impact carbone de la production de ciment est principalement dû aux combustibles fossiles nécessaires à la cuisson du clinker et à la décarbonatation du calcaire. Aujourd’hui, on sait réduire les émissions liées à la cuisson en utilisant des combustibles de substitution, notamment des déchets ne pouvant pas être recyclés. Quant aux émissions liées à la décarbonatation, on les diminue en recourant à des additions comme les laitiers de haut fourneau, le filler calcaire, les argiles calcinées ou les fines de béton recyclé. Celles-ci peuvent être de plus recarbonatées ce qui améliore encore le bilan environnemental.
Par ailleurs, la carbonatation accélérée des granulats de béton recyclé, qui permet de stocker du CO2 dans ces granulats, contribue aussi à la réduction de l’impact carbone du matériau et à la préservation des ressources naturelles.
Comment sont mises en œuvre concrètement ces ruptures ?
Jean-Michel Torrenti : La production de béton bas et ultra-bas carbone, à base de ciments à empreinte réduite, est aujourd’hui normalisée et répandue. Leur utilisation dépend en revanche du bon vouloir des maîtres d’ouvrage et des entreprises. En ce sens, la RE2020, qui impose des seuils de réduction de l’empreinte carbone des bâtiments, va obliger les architectes, bureaux d’études, maîtres d’ouvrages et entreprises à retenir les solutions les plus vertueuses, à chaque phase de la construction.
La carbonatation accélérée des granulats de béton recyclés a, de son côté, été expérimentée et argumentée dans le cadre du projet FastCarb.